Citations sur Les Noisettes sauvages (36)
Olivier, qui ne se lassait jamais de contempler
les doux yeux des vaches, restait là,
béat dans la chaleur,
saisi d'une sorte d'indicible bonheur,
ignorant sans doute
qu'il vivait des instants de qualité.
L'enfant déplia le mouchoir de batiste à liséré vert et le passa sur son front. Il était assis dans le compartiment de troisième classe, bien serré à sa place, "un coin couloir", les bras croisés sur sa poitrine. Il écoutait la musique du train, regardait ces paysages de banlieue que l'obscurité n'habitait pas encore tout à fait.
Olivier prit l’habitude de mener paître, parfois sans la mémé, comme un grand. Un livre sous le bras, un béret sur la tête et l’aiguillon à la main, il faisait semblant de diriger les bêtes qui le dirigeaient. Pieds-Blancs jappait tout content et l’enfant lui jetait du pain à la volée. […]. Il pris possession du pré, se tenant près d’un saule qui trempait le pied dans l’eau près d’un promontoire dominant la Seuge. De là, il avait vue sur toute la courbe de la rivière. Silencieux comme un chat, il y guettait patiemment toutes les manifestations animales. Une truite parmi les herbes glissait d’un trait vif et coloré, une loutre filait traçant un sillage, des sauterelles imprudentes retardaient le temps de la noyade. […] . Une libellule volait comme un modèle réduit d’avion, une araignée d’eau se laissait dériver, puis courait, légère, en faisant de minuscules vaguelettes.
La mémé trouva un seau qu’Olivier alla remplir à la rivière. Elle jeta du sel, mélangea avec une branche et demanda à l’enfant d’arroser les endroits où l’herbe mêlée de joncs et de bruyères devenait si dure que les vaches la dédaignaient. C’était vrai qu’elles aimaient le sel, le pépé n’avait pas menti ! Elles suivaient Olivier, ramassaient l’herbe salée d’un coup de langue, soufflaient, broutaient, mâchaient. Sur le conseil de sa grand-mère, il prit du sel dans sa paume et la Marcade vint le lécher. Maintenant, il ne craignait plus les cornes et il aimait ces grosses bêtes mélancoliques et affectueuses.
"Ta grand-mère est partie de bon matin. Qui sait où elle est allée ? Elles est comme une chèvre. Toujours à courir aux herbes !"
Il ajouta :
"Il vaut mieux que tu le saches : la mémé peut te surprendre. Elle ne fait pas la cajoleuse, oh non ! Là où d'autres sont de mie, elle est de croûte. Enfin, elle n'est pas comme on peut s'y attendre. Il faut la connaitre...
« Humm ! qu’est-ce que c’est bon ! »
En s’emplissant la bouche d’omelette aux mousserons, Olivier ne pouvait cacher son enthousiasme. La grand-mère ne s’assit guère. Toute à son fourneau, elle s’en remettait à cet usage des femmes de campagne de manger debout, l’assiette peu garnie à la main. Victor, lui, nourrissait son corps d’athlète à renfort de larges tranches de pain qu’il trempait dans la sauce d’un civet cuit et recuit. Ses bras étaient énormes, le droit, celui qui battait du marteau, plus volumineux que le gauche, et sa force contrastait avec la candeur de son visage.
Le pépé dit :
- Ils sont dans l'enfance ...
- Qui donc ?
- Les plus beaux jours de notre vie.
Dans ce pays, l’eau paraissait plus vive et plus puissante qu’ailleurs. Elle creusait vaillamment ses lits, fertilisait, s’opposait aux sédiments de lave et de granit. Si elle paraissait aux endroits profonds, brusquement on la voyait s’éveiller et se précipiter brusquement comme une suicidée sur les rochers polis, là où l’on pouvait traverser à gué, en sautant de pierre en pierre.
Il rapporta du cellier la bouteille mystérieuse entourée d'un linge humide. C'était un mousseux qu'il baptisa généreusement champagne. Le bouchon partit comme une balle et retomba au beau milieu de la table. Le pépé applaudit. La grand-mère semble intéressée, mais jeta tout de même :
"Du vin pareil, ça doit coûter le prix du lait de lièvre !"
- C'est une chaussure de ton père. Et là ce sont ses médailles. Il est revenu le pied éclaté, gazé, avec des éclats d'obus dans tout le corps. Il a fait un bel enfant et il est mort. On a fait faire la guerre part des gamins et ils n'ont pas le temps de vivre.