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Critique de Aquilon62


"Il est magnifique de réaliser que le monde n'existe pas en tant que réalité objective. Il est ce que nous en faisons. Il dépend de notre bonne volonté. Saint Augustin le savait déjà, lui qui disait : « J'ai longtemps cherché au-dehors ce qui se trouvait en moi. » Il a compris que, pour faire un monde, il ne fallait pas le chercher au-dehors comme une extériorité, mais à l'intérieur de soi comme une capacité.
Aucune Renaissance ne peut faire l'économie de ce moment-là ! Cette prise de conscience, ce travail d'intériorité, c'est ce qui nous renvoie à notre responsabilité d'oeuvrer en commun contre le délitement du monde."

Voilà qui résume cet essai admirable de Karine Safa. C'est un livre d'une richesse inouïe, d'une densité sans égale, de questionnements foisonnants, bref c'est une absolue réussite.

Il rejoins à mon sens l'"Apocalypse cognitive" de Gérald Bronner ou" les Ingénieurs du chaos" de Giuliano da Empoli, dont l'auteure aborde sans équivoque les dérives : "Nous devenons peu à peu une civilisation du buzz, de la rumeur, du retentissement médiatique. Mais, plus grave encore, ce sont les régimes démocratiques eux-mêmes qui ont le plus à pâtir de ce genre de pratiques. S'il devient de plus en plus difficile de démonter les rouages d'une manipulation de masse par la désinformation, qu'advient-il de ma liberté de choix supposée lors d'un processus électoral, par exemple ? ".

L'ouvrage se divisé en 5 parties, qui étaient un tant soi peu les piliers de la Renaissance, mais en les traitant à l'aune de notre époque :
L'imagination : un anti-destin ;
L'utopie, un imaginaire qui expérimente ;
L'alchimie, un imaginaire qui lie ;
L'humanisme, un imaginaire de l'altérité ;
Le progrès, un nouveau récit à construire… ;

Trois passages sont absolument jubilatoires :
- Montaigne en consultant lors d'une réunion au 37e étage de l'une des tours d'une multinationale. Il écoute tout d'abord, longuement, les échanges des uns et des autres ensuite il se lève dans ce complet veston dont il n'a pas l'habitude. Il leur dit sans détour : « Messieurs, je vous ai bien entendus. Mais, selon mes critères d'homme de la Renaissance, de philosophe, d'humaniste, de magistrat rompu aux arbitrages, de maître responsable de sa maisonnée, de mes gens, de ma forêt, de mes animaux, de ma terre… vous êtes trop pleins de vos certitudes, trop aveuglés par vos raisonnements… » une fous son intervention terminée, c'est un concert de vibrations étranges émanant de l'objet dont ces hommes semblent avoir fait religion. Ce drôle de dieu est un véritable despote.
- "L'humanisme est sans doute le vocable de la langue française le plus surdéterminé et vidé de son sens. Il est invoqué en permanence. C'est l'étiquette consensuelle par excellence. Or, en creusant l'humanisme en ses belles heures, on comprend très vite qu'il est tout sauf recherche du consensus. Il est éloge de la différence, expérience de l'altérité. C'est en tant que tel que nous pouvons continuer à en réaliser les aspirations. D'autant que l'altérité est ce qui semble le plus éprouvé par notre modernité, que ce soit avec le regain des identitarismes, la montée des nationalismes ou encore l'avènement excessif de la technique. C'est dire que l'humanisme, tel qu'il fut porté à la Renaissance, est une exigence qui nous concerne plus que jamais."
- et enfin la partie concernant l'utopie : " Bacon nous encourage à devenir des navigateurs de la pensée plutôt que des colonisateurs. La devise qui orne le frontispice de son oeuvre nous y engage : « Beaucoup voyageront en tous sens et feront progresser la science ».
En tous sens. La formule est importante. On retrouve cette idée très prégnante à la Renaissance de désordre créatif. D'abord explorer, ensuite construire. L'homme de la Renaissance aime se perdre, il aime les  labyrinthes qui sont une image de la complexité du monde. L'inconnu ne lui fait pas peur. C'est pour cette raison que la terra incognita devient la métaphore même de l'espace d'innovation. Mais avant d'être métaphore, la terra incognita offre réellement la possibilité de créer à partir de peu de chose. le Nouveau Monde qu'on découvre va devenir un lieu de prédilection pour expérimenter les premiers systèmes utopiques."

Je caresse l'espoir que le livre de Karine Safa rejoindra ou a déjà rejoint le projet audacieux initié à Oslo : celui de la bibliothèque du futur. Petite explication : chaque année, un auteur reconnu est invité à déposer un manuscrit qui doit rester sous scellés jusqu'en 2114. Et que les futurs lecteurs prendront autant de plaisir à le lire et à savoir si cette nouvelle Renaissance aura permis à l'homme de saisir sa chance.
Une chose est sûre : j'ai eu la chance de lire ce livre, et j'ai de la chance qu'il trône sur ma bibliothèque où il m'attend à nouveau, et je me dit que j'aurais de de la chance de le relire à nouveau tant il est riche.
Il trône a côté du magnifique ouvrage de Jean-Christophe Saladin "les aventuriers de la mémoire perdue" qui conte les aventures de ces hommes et de ces femmes de la Renaissance qui surent puiser dans les immenses richesses occultées du passé pour construire leur avenir. Et bien Karine Safa est à l'image de ces aventuriers..

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