Pascal Quignard nous entraîne un siècle après la Renaissance française, au grand siècle : le XVII ème. Dans son nouvel ouvrage "L'amour, la mer", il s'est penché sur ces musiciens qui aiment le silence et sur ceux qui refusent d'assigner un but à toute chose. Quelle période de l'histoire pourrait inspirer notre présent et notre avenir ? Doit-on tirer des leçons de l'Histoire ? Pour notre invité, "on peut rebondir sur elle, sur ses parois et ses souvenirs [
] tout ne cesse de commencer".
Dans ce nouveau roman signé de la plume de Pascal Quignard, on retrouve Monsieur de Sainte-Colombe, l'un des protagonistes de "Tous les matins du monde", ce roman qui fut porté à l'écran par Alain Corneau après son immense succès. L'histoire de ce héros fictif nous transporte un siècle après Montaigne et les humanistes de la Renaissance dans cette époque où "le silence et la musique font très bon ménage". Les artistes dépeints par notre invité refusent de se faire publier, un geste symbolique qui résonne tout particulièrement avec notre époque où chacun veut être publié en usant des réseaux sociaux qui ont alimenté l'exigence du tout et tout de suite. À l'instar de l'ouvrage publié par Karine Safa, Pascal Quignard fait lui aussi des parallèles troublants entre le XVII ème et le postmoderne notamment avec cette fronde contre le pouvoir qui n'est pas sans rappeler le mouvement des Gilets Jaunes. Dans ce roman, toute forme d'exhibition de soi est proscrite, sorte apologie de "l'anti-selfie" contre l'étalage de soi intempestif que nous vivons aujourd'hui. Nouvelle leçon humaniste pour s'inspirer de l'histoire ? Analyse de la musique du silence avec Pascal Quignard.
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Comment ne pas penser à l’aphorisme prophétique de Nietzsche dans "Humain, trop humain" ?
Le philosophe allemand sait combien il est plus facile pour l’homme de s’entretenir de douces illusions et de préjugés faciles. Cela conforte un ego contrarié et lui apporte du plaisir. Alors que la vérité pique comme la pointe d’un glaive.
Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin d’utopistes pour penser ce monde qui change alors que nous vivons une sorte d’accélération du temps en matière d’innovations technologiques. À l’ère de notre révolution numérique et de l’intrusion envahissante des algorithmes, qui transforment en profondeur notre civilisation, que ce soit nos relations sociales, notre travail ou notre rapport au monde, nous avons besoin plus que jamais de grands rêveurs qui ont cette capacité d’anticiper l’avenir pour mieux le préparer, le désirer aussi au-delà des peurs. Celles-ci naissent toujours d’un manque. Remettre l’homme au centre peut aider à démonter la peur. Une conscience utopique, qu’elle ait une finalité politique ou d’innovation technique, porte des espérances humanistes. C’est l’une des grandes leçons de la Renaissance.
L’argent n’est pas que l’universel entremetteur à la Renaissance. On l’a vu, il est aussi un problème moral. C’est pourquoi la question de l’usure resurgit avec une envergure nouvelle.
Il suffit de penser à la fameuse chapelle de l’Arena à Padoue. Ses murs sont entièrement recouverts par des fresques de Giotto, cinquante-trois, au total. Outre le fait qu’elle soit d’une beauté vertigineuse, c’est l’identité du commanditaire qui est intéressante : Scrovegni fils dont le père était un grand banquier pratiquant, comme la plupart des banquiers de l’époque, l’usure, et que Dante avait expédié tout droit en enfer.
L’usure ! Quel terrible mot ! C’est l’argent qui enfante, c’est ce métal froid qui altère les choses. L’usurier est celui qui se dresse contre Dieu, qui rejette la nature, qui veut s’enrichir sans travailler.
Premier constat : aucune époque n’a autant vécu pour l’imagination que la Renaissance.
Aucune n’en a fait un tel usage de créativité, de conquête et de rassemblement. Elle est la « vertu » du poète, de l’artiste, du découvreur, de l’innovateur, du héros. Mais, plus que tout encore, la Renaissance nous apprend que l’imagination est la structure relationnelle par excellence. Elle est le lien des liens, elle unit ce qui est séparé, elle réconcilie les contraires, et l’homme avec lui-même. Elle réenchante le monde, ranime la foi sans laquelle rien de grand n’est possible.
Alors que nous vivons dans un monde de plus en plus complexe et dynamique, où l’accélération permanente du temps phagocyte dangereusement l’exercice de la pensée, l’imagination apparaît comme le plus précieux des relais.
Il est difficile de dresser une histoire de l’utopie. Elle est longue, complexe, contradictoire. L’histoire de l’utopie, c’est, en un mot, toute l’histoire humaine. Et, de fait, le concept d’utopie est bien plus ancien que le mot qui apparaît pour la première fois sous la plume de Thomas More.
Les premières traces de l’utopie remontent au paradis perdu de la Genèse. Il y a les mythes de l’âge d’or, dans la tradition gréco-latine, cet âge merveilleux où les hommes vivaient sans travailler, sans souffrir ni vieillir, dans la proximité des dieux. On en trouve un autre exemple, même s’il ne s’agit pas tout à fait d’une utopie, dans La République de Platon. Le père de l’Académie engage une réflexion philosophique et théorique sur le juste et l’injuste qui donnera naissance à la « cité idéale ».
Notre époque justement souffre de trop de certitudes dont nos réseaux sociaux se font la caisse de résonance, enfermant trop souvent les utilisateurs dans une complaisance communautaire. N’ont-ils pas fait leur temps, les procès en sorcellerie et autres formes de justice expéditive ? Faudrait-il allumer encore et encore le bûcher d’un Giordano Bruno ? Ou nous laisserons-nous au contraire déborder par l’abondance et la richesse du réel ?
Le plus grand danger qui nous guette n'est pas de viser un but trop élevé et de le manquer, mais plutôt de choisir une cible trop modeste et de l'atteindre
Et la question que nous devons nous poser est la suivante : et si l'urgence était ailleurs ? Et si l'urgence était d'abord philosophique ? Et si l'urgence était celle de réinventer notre rapport au temps et de récupérer l'idée si malmenée de progrès, c'est-à-dire l'avenir ? Notre rapport à l'avenir. Avec tout ce que cela implique. Et tout d'abord notre responsabilité individuelle et collective de faire un monde. p188
La Renaissance nous apprend que l'imagination est la structure relationnelle par excellence. Elle est le lien des liens, elle unit ce qui est séparé, elle réconcilie les contraires, et l'homme avec lui-même. Elle réenchante le monde, ranime la foi sans laquelle rien de grand n'est possible.
Si nous sommes privés de ce que le passé nous a laissé de meilleur et si l'avenir nous est confisqué, parce qu'il est synonyme d'illusion ou de peur, alors nous nous retrouvons prisonniers d'un présent sans horizon, sans perspective.