Le vainqueur est celui qui a le moins peur. Voilà ce que j'avais compris. Voilà pourquoi les Allemands avaient gagné contre nous, les Juifs.
Jusqu'à présent.
Parce que, maintenant, nous n'avions plus peur.
Nous étions déjà morts.
Si jamais je m'étais demandé comment faisaient les rares Allemands qui nous considéraient encore un peu comme des êtres humains pour supporter cette boucherie, ce spectacle m'aurait donné la réponse : ils buvaient.
En ce moment même, on devait déjà célébrer dans le ghetto des unions uniquement destinées à sauver des vies. L'amour n'avait plus rien à faire dans de tels mariages. À moins qu'il n'y joue au contraire un rôle essentiel ? Épouser quelqu'un pour lui sauver la vie, n'était-ce pas une forme suprême d'amour ?
- Ce ne serait pas des chats ? chuchota une vieille femme.
Les chats, c'était ainsi que les Polonais désignaient les Juifs échappés du ghetto.
Chacun est libre de décider quelle sorte d'être humain il veut être.
D'un commun accord, nous mentions à notre petite soeur pour qu'elle n'ait pas peur. Nous mentions comme les Allemands avec les Juifs. Ils nous mentaient pour nous rendre dociles comme des petits enfants.
" La deuxième arme la plus puissante des tyrans est le mensonge, s'esclaffa le tyran.
- Et la première ? Demanda Hannah.
- La peur. "
Je nous voyais, Hannah, maman et moi, moissonnant les champs ensoleillés de l'Est. Les champs de blé devaient être très beaux. Bien plus que le ghetto.
L'idée de partir loin m'apaisa un peu;
C'est fou ce que l'espoir peut vite renaître.
Je me sentais tiraillée.
À part des gens comme Amos, personne ne croyait à l'anéantissement.
Parce que c'était plus facile à supporter si on n' y croyait pas?
Ou parce que c'était réellement une invention? enfermer des gens dans un camion, les étouffer avec les gaz d'échappement... même les Allemands ne pouvaient pas avoir le cerveau aussi malade.
Quand l'orage gronde autour de nous, malgré tout, nous restons debout.
Chaque fois qu'un SS tombait, c'était un homme capable d'envoyer des enfants vers la mort en chantant qui disparaissait.