Nathalie Sage-Pranchère se livre à une démonstration en bonne et due forme de ce qu'est, au fond, la démarche de l'historien.
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La formation obstétricale change donc profondément la donne de l’accouchement hospitalier. Cette tendance est visible à l’échelle nationale et transcende la distinction entre cours en hospice et école d’accouchement. Elle rencontre, malgré des objectifs de départ différents, les politiques départementales d’assistance aux mères indigentes et de lutte contre les abandons d’enfants. Le but pédagogique initial ouvre aux hôpitaux un nouveau champ de compétences ; nouveau par son ampleur qui n’a plus rien à voir avec les salles de gésine du XVIIIe siècle ; nouveau par la spécialisation accrue de son personnel, précocement professionnalisé et laïcisé.
Sa brusque remise en cause en 1858 par la dénonciation des risques d’infection puerpérale dans le cadre hospitalier est le signe paradoxal de cet élargissement de la fréquentation des maternités par les femmes enceintes. Le basculement tardif de l’accouchement à domicile vers l’accouchement hospitalier au milieu du XXe siècle ne doit pas cacher la progression de la maternité comme espace de refuge pour les mères pauvres et/ou illégitimes et après 1880 pour les grossesses pathologiques.
Paris est à cet égard un exemple précoce et extrême de cette évolution. Le développement d’un réseau d’établissements de formation clinique des sages-femmes accélère donc dans de nombreux départements la concrétisation d’une politique d’assistance aux femmes en couches.
Les médecins prennent très tôt, en théorie du moins, le contrepied des actions qu’ils reprochent aux sages-femmes. Lorsqu’elles acceptent de taire le nom d’une mère ou d’aider à l’abandon d’un enfant, ce que le discours médico-administratif condamne comme de l’immoralité et de la cupidité, les sages-femmes ne font sans doute dans bien des cas qu’exprimer une sollicitude envers les patientes passant avant les obligations légales. Il reste que la tolérance se réduit à mesure que ferment les tours d’abandon et que sont redéfinis les secours publics aux enfants trouvés.
L’offensive contre la moralité « douteuse » des sages-femmes est contemporaine de la volonté de réduire le nombre d’enfants délaissés qui peuplent les hospices. L’existence de ces attaques ne dédouane pas les premières d’une participation effective à certains trafics (abandon puis reprise en nourrice par la mère), mais explique la virulence des propos qui condamnent leur implication.
L’officialisation de la profession de sage-femme consacrée par la loi en 1803 n’empêche pas les contestations de tous ordres. La reconnaissance institutionnelle des accoucheuses comme membres à part entière du corps médical sous le Consulat a fait le pari d’une scientificité justifiée par l’émergence d’une formation spécifique. Dépouillée des oripeaux de la matrone, la sage-femme apparaît comme une figure nouvelle, que ses professeurs modèlent selon une logique de contiguïté et de perméabilité des savoirs entourant le processus de transmission de la vie. Rien de ce qui tient à la naissance ne doit lui être étranger, ouvrant son champ d’exercice sur les besoins de la société (vœux des politiques sanitaires et attentes des populations) comme sur les chemins qu’emprunte la science médicale.
La formation des élèves sages-femmes intègre une dimension pathologique qui ouvre vers d’autres domaines médicaux : la gynécologie ainsi que la puériculture et la pédiatrie en cours de constitution. Cette extension du domaine de la sage-femme se fonde sur la nécessité de connaître pour reconnaître l’accouchement contre-nature ou laborieux et les risques afférents. Elle s’enracine dans l’association traditionnelle entre art des accouchements et maladies des femmes et des enfants. Le rassemblement en un même corps de doctrine de ce qui relève aujourd’hui de trois voire quatre spécialités médicales s’insère dans une compréhension de la physiologie féminine axée sur la fonction génératrice, le nouveau-né venant en prolongement de sa mère.