Une aventure de Jill Kismet, Tome 1 : Mission nocturne

Quand on passe sa vie à enchaîner les combats violents, ça devient une habitude. Un besoin d'appuyer sur la détente, un réflexe instinctif et salvateur. L'animal en vous réclame d'attaquer avec les griffes, les dents, tout ce qui est à portée de main.

On se laissa tomber au milieu d'un bain de lumière cramoisie et d'une masse de Pactisants en train de danser. J'atterris rudement et la piste se fendilla selon un motif en étoile quand j'enfreignis violemment les lois physiques. Mon aura s'enflamma, soudain visible, dessinant un oursin lumineux au milieu de toute cette contamination éthérique d'un noir d'encre. Puis je traversai la piste, poing tendu pour un coup qui envoya valser un Pactisant dont le sang jaillit du visage en gouttelettes qui restèrent suspendues dans les airs quelques instants avant d'aller s'écraser à terre. Les couteaux quittèrent leurs gaines et je commençai à moissonner pour de bon.

- Je n'ai pas...
- La ferme.
Sans colère, rien qu'un ton neutre et sans réplique. Son pouls battait calmement contre ma joue.
Je m'exécutai. Il continua à m'étreindre et, l'espace d'un moment, ce fut suffisant. Assez longtemps pour que je me promette cent fois que j'allais arrêter d'inspirer son haleine, le seconde d'après - et pour rompre chaque fois cette promesse.

L'odeur propre aux infernaux planait dans cette ruelle, tout comme celle de contamination saumâtre que dégagent les arkeus. Depuis quelque temps, de sales trucs s'échappaient de cette partie de la ville, assez dangereux pour donner du fil à retordre à une chasseuse portant la marque de l'Enfer. Si les flics du monde nocturne comme moi disposent d'armes à feu et de sorcellerie, les Pactisants et les infernaux sont d'une vitesse hallucinante et capables d'encaisser des dégâts de tous les diables.

Les corps enchevêtrés formaient une masse chaotique en dessous des branches cassées qui s'étaient ratatinées au soleil. Je vis une longue écharpe de cheveux bruns couverts de sable, et supposai que ce corps-là était de sexe féminin. Mais ils étaient en si sale état que je ne pouvais pas m'en assurer. Certains des os les plus grands - fémur, humérus - avaient été rongés, et je voyais saillir des esquilles acérées. Les visages portaient de profondes traces de griffures.

Je commence à en avoir franchement marre de saigner. Si quelqu'un pouvait arrêter le monde, j'ai envie de descendre.

Les villes ont besoin de gens comme nous, qui pourchassent les créatures que les flics ne peuvent pas arrêter pour empêcher les rues de sombrer dans le chaos.
On s'occupe des exorcismes exceptionnels. Pactisants, infernaux, Garous solitaires, changres, Douloureuses, adeptes de la Voie Médiane... Toutes les réjouissances que peut offrir le monde nocturne. En temps normal, le boulot du chasseur consiste seulement à jouer les intermédiaires entre la communauté paranormale et la police ordinaire et à s'assurer que tout reste en ordre.
Enfin, peut-être pas en ordre, mais dans un ordre relatif. Ce qui inclut, par définition, tout ce qui se classe entre « pas de cadavres dans la rue » et « chaos imminent ».
Faut savoir être flexible dans la vie.

_ Andy Hughes, vous êtes en état d'arrestation. Vous avez le droit d'être exorcisé. Tout ce que vous direz pourra, bien entendu, être ignoré puisque vous avez renoncé au droit d'être jugé par vos pairs en trafiquant avec l'Enfer. (J'inspirai profondément.) Et remerciez votre bonne étoile que je ne sois pas d'humeur à tuer ce soir. A qui appartient ce bébé ?