Quelques mois auparavant, Paris déterrait ses pavés. Mai 1968 et ses débordements éclipsaient l'actualité mondiale. La remise en cause de la société paraissait totale. La France descendait dans la rue. Même l'hôpital, cette monstrueuse machine obsolète, patinante et grinçante depuis des lustres, s'emballait. Ainsi la cloison du réfectoire parisien qui séparait les médecins de tout le petit personnel (infirmières, aides soignantes, agents de service hospitaliers, ouvriers...) fut abattue un beau jour de ce printemps. Oh ! pas pour longtemps. Le calme à peine revenu, la direction s'empressa de le reconstruire. Ailleurs, le service d'un hôpital comportait deux entrées, l'une principale réservée aux médecins et aux visiteurs, immense baie vitrée décorée de plantes luxuriantes, et l'autre, l'entrée des artistes, à l'arrière du bâtiment, où s'engouffraient les employés contrôlés par la pointeuse. Un matin tout le monde passa la grande porte. Quelle audace ! Même si les patrons se haïssent souvent, la solidarité mandarinale est inébranlable. Quelques jours plus tard, la récréation était terminée. Tout rentra dans l'ordre : le patron-souverain dans son service, l'interne-seigneur dans sa salle, les petites bleues-bonnes à tout faire dans les hôpitaux.
L' Hôpital à la dérive, interview de Martine Schachtel au Magazine de la Santé, 03/09/2010.