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Critique de karmax211


J'ai vu cette pièce jouée au théâtre de Nice, dirigé alors par Jacques Weber, en mars 1995 dans la Salle Pierre Brasseur.
La distribution comportait les noms de Thierry Fortineau, Josiane Stoléru, Joël Barbouth et Maurice Garrel.
Ce n'est pas que j'ai une bonne mémoire, mais ce souvenir est resté gravé dans un de mes petits carnets de l'époque.
À dire vrai, la pièce en elle-même ne m'avait pas transporté outre mesure. Je ne l'avais pas trouvé inintéressante... juste de quoi justifier une sortie au théâtre... sans plus !
Depuis, j'ai eu l'occasion de suivre la plume de son auteur à travers d'autres pièces, des nouvelles et quelques romans.
Je ne suis pas un inconditionnel D E.E.S.
Autant je peux être séduit par des oeuvres comme - La part de l'autre -, - Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran - ou même - Concerto à la mémoire d'un ange -, autant - La nuit de feu -, par exemple, m'a paru une crise de mysticisme au rabais le plus insignifiant.
J'ai voulu relire - le Visiteur - 26 ans après l'avoir vu interprété sur scène.
Nous sommes en 1938 à Vienne. C'est l'Anschluss ( annexion de l'Autriche par l'Allemagne nazie). Les persécutions contre les Juifs ont commencé. Dans son bureau le docteur Sigmund Freud, qui bénéficie d'appuis extérieurs (Roosevelt, Mussolini...) hésite à signer le document que les nazis lui imposent de signer avant qu'il ne puisse librement quitter son pays. Sa fille Anna le presse. Il reçoit deux visites : un gestapiste qui le fait chanter et embarque Anna au siège de la Gestapo viennoise et "un inconnu". Va s'ensuivre une "consultation" psycho-métaphysico-surréaliste entre l'athée vieillissant et malade qu'est Freud et son Visiteur qui est... une hallucination libérée par l'inconscient du célèbre psychanalyste ou Dieu en personne ?
C'est sur ce face à face improbable et original que Schmitt fait reposer sa pièce.
Plus que le dialogue qui repose essentiellement sur le principe d'une théodicée maintes et maintes fois visitée et revisitée dans la littérature ( genres confondus ), un des intérêts de cette pièce est sa structure, son articulation narrative, les chassés croisés entre Freud qui croit "chaque fois s'approcher" d'une vérité qui, chaque fois, se dérobe et lui échappe.
Les dialogues, s'ils n'ont rien de percutant, de flamboyant, n'en sont pas pour autant dépourvus des connaissances historiques, philosophiques, psychanalytiques et religieuses d'un Schmitt à l'érudition reconnue, ce qui rend le propos dans son ensemble pertinent voire quelquefois subtil.
Dans les inévitables réflexions et interrogations que génère la pièce, ce qui m'a personnellement le plus "interpelé", c'est le monologue du visiteur sur la solitude de Dieu. Monologue que je trouve être le climax de cette oeuvre.
-" J'ai tout, je suis tout, je sais tout. Rond, rassasié, plein comme un oeuf, gavé, écoeuré depuis l'aube du monde ! Que pourrais-je bien vouloir que je n'aurais pas ? Rien, sauf une fin ! Car je n'ai pas de terme... ni mort... ni au-delà... rien... je ne peux même pas croire en quelque chose, à part moi... Sais-tu ce que c'est, l'état de Dieu ? La seule prison dont on ne s'évade pas. Rien au-dessus, tout en dessous. J'ai tout fait. Où que j'aille, je ne rencontre que moi-même ou mes créatures. Dans leur présomption, les hommes ne songent guère que Dieu est nécessairement en mauvaise compagnie ! Être le tout est d'un ennui... Et d'une solitude !"
-Le Visiteur- repris sous forme de lecture a conforté mon ressenti de 1995. C'est une bonne pièce, ce n'est à mon sens pas un chef-d'oeuvre.
Cette oeuvre revisitée sous une autre forme m'aura permis néanmoins de compléter mes connaissances sur Freud.
Si je savais qu'il était atteint depuis plusieurs années d'un cancer de la mâchoire, j'ignorais qu'il avait subi 31 opérations en 16 ans, que la puanteur du foyer cancéreux faisait fuir Topsy son chow chow préféré. Et ce qui m'avait incroyablement échappé, c'est que ses quatre soeurs, Rosa, Marie, Adolfine et Paula disparurent dans les fours crématoires d'Auschwitz et de Theresienstadt.
Je laisse la conclusion à l'auteur, non sans avoir précisé au préalable que cette pièce est jouée dans le monde entier, et qu'elle mérite lecture.
"Douter, changer d'avis, passer de l'espoir au désespoir, ne pas savoir, ce n'est pas être faible, c'est être un homme. J'ai appris que chacun se retrouve dans les méandres du Visiteur ; les Juifs y voient une méditation hassidique, les chrétiens une pièce pascalienne sur le Dieu caché, les athées y reconnaissent le cri de leur détresse. Cela signifie aussi que chacun y écoute des positions qui ne sont pas les siennes."


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