Quand j’ai besoin de décompresser, je ne picole pas, je ne fume pas de joint, je vais chez Fouad. C’est mon coiffeur, cours Charlemagne. Il est tunisien, il est drôle, il a toujours une connerie à raconter, soit des trucs qu’il invente, soit des trucs qui sont arrivés à des potes à lui. Dans les deux cas, Fouad a une façon de parler qui vous ferait marrer un gendarme. Il est aussi un peu philosophe mais sans grande théorie, ça non, il a juste une capacité à réfléchir le trottoir.
J'ai immédiatement reconnu la caisse de Saïd. Sa conduite aussi. Je sentais presque son souffle chargé d'harissa sur ma nuque et j'ai appuyé sur l'accélérateur sans hésiter.
Il est aussi un peu philosophe mais sans grande théorie, ça non, il a juste une capacité à réfléchir me trottoir.
Mille fois j'ai voulu abandonner. Je ne comprenais pas l'Algérie. C'était dingue, c'était pire qu'un monde sans règles, c'était un monde où les règles changeaient en permanence, et sous vos yeux. Lorsque vous pensiez avoir compris quelque chose, on vous expliquait que c'était l'inverse, et si vous reveniez le lendemain vous aviez encore une autre version.
Je vois pas ça exactement pareil, moi je me dis qu'ils ne sont pas solubles dans la France, certes, mais qu'ils le savent, qu'ils l'ont acté, qu'ils se sont résignés et que leur apparence n'est que leur ultime message possible, le seul doigt d'honneur qu'ils peuvent faire à la France. Ils ont essayé tout le reste avant et ça n'a pas marché. Leurs grands-parents ont bossé, ils sont restés dans la cité. Leurs parents ont fait des études, ils sont restés dans la cité. Ils en ont tiré les conclusions qui s'imposent et se sont rétrécis sur eux-mêmes et sur leur culture.
Ce qui est certain c'est qu'ils n'aiment pas la France, ils sont là parce que bien obligés, ils sont là parce qu'ils sont nés là, mais le coeur est ailleurs, le coeur est un bled fantasmé. Ils souffrent d'une mélancolie géographique, d'un pays qu'ils ne connaissent pas si bien, celui de leurs parents. Ils ne sont plus de là-bas et ils ne seront jamais d'ici. Essayez de vivre dans un no man's land, vous, et on en reparlera. Ce qui est certain aussi, c'est que tant qu'ils resteront dans leur accoutrement de carnaval un peu glauque ils n'auront ni taf ni avenir. En toute franchise, je crains que ce ne soit une génération perdue. C'est triste mais il ne faut pas rêver, ceux-là sont morts pour nous. Non, ils ne vont pas cotiser. On peut juste espérer que leurs enfants passeront à autre chose.
Les gens n’ont rien contre les juifs mais ils n’aiment pas être avec eux, ils ignorent ce qu’il faut dire ou ne surtout pas dire, ils sont comme des cons et c’est ça qu’ils n’aiment pas : être comme des cons. Moi les juifs je m’en fous, comme je me fous des Japonais. Ils ont des mœurs et des fringues pourries, ils mangent bizarrement, mais à part ça, ça va. Ils servent à rien, quoi, c’est tout. De toute façon, c’est pas mon vrai problème. Mon vrai problème c’est que j’ai une tête d’Arabe, surtout ce qu’il y a dedans. C’est parce que j’ai grandi avec eux. Je viens de la cité des Buers, tout le monde connaît à Lyon. Ça craint, les Buers. J’ai tellement traîné avec les Arabes depuis toujours que je les connais par cœur, je suis comme eux, j’aime pas trop le porc et ça m’est même arrivé de faire le ramadan pour faire comme les potes. Je parle comme eux, je pense comme eux, j’ai une calvitie à la Zidane et comme eux je n’ai pas une très haute idée des femmes. Pour résumer, depuis que je suis gosse, on m’appelle soit le Juif, soit le Rebeu blanc.