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Citations sur La peau de mon tambour (44)

Les grandes culottes de Grandma aspirent le vent et se gonflent comme des ballons blafards, des fantômes aux yeux vides, et ses dessous à Elle, ses bouts de dentelle de rien du tout planent à l'horizontale et toutes vos affaires à Tristan, Madeleine, Titus et toi, claquent au vent.
( p 2)
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elle sursaute.
- Qu'est-ce-que tu fais là, plantée comme une andouille? Va donc plutôt chercher ton idiot de frère dans le garage.
Tu ne ne te fais pas dire deux fois. Tout plutôt que de rester bras ballants dans leur fosse aux crocodiles.
( p 49 )
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Elle s'impatiente, mais que fait-il ? C'est à lui maintenant. Son rôle est écrit, il n'a qu'à s'y conformer. Saisir la foudre et la brandir, ce n'est quand même pas compliqué. Nouveau soupir de Zeus qui se lève, la serviette à la main, essuie ses lèvres minces et se met à tonner sans conviction.
Mais d'un aussi tiède courroux, Elle ne peut se satisfaire. Elle n'a que faire des simulacres, Elle veut le remous et la guerre. Le ton monte encore jusqu'à ce que, au bout du bout, les larmes jaillissent, ces larmes de rage et de désespoir que tu t'étais promis de ne pas verser mais que tu n'arrives pas à endiguer, et pour ça tu te détestes. Tu sors de table.
Plus tard, selon un rituel bien établi, il te rejoint dans la chambre, l'oeil délavé, le front soucieux. Son bras autour de tes épaules : alors, ma chérie, on a séché ses larmes ? - petit violon - ; c'est tellement bête de te mettre dans un état pareil - tatatata ! - ; tu te fais du mal pour rien - sa main qui te palpe l'épaule - ; est-ce que tu ne pourais pas faire un effort ? - petit baiser sur la tempe - ; tu la connais, tu sais comment elle réagit, une fois qu'elle est partie, elle ne peut plus s'arrêter, c'est chaque fois la même chose, tu devrais le savoir, elle est si fragile - si fragiiiiiiiile - ; fais un effort, un petit effort, s'il te plaît, fais-le pour moi - re-violon, les yeux dans les yeux - ; mets-toi à ma place, je n'en peux plus de vos histoires - pauvre, pauvre papa - ; j'ai travaillé toute la journée, non ? - pourquoi pas, papa, papapapa ? - j'ai besoin de calme, je sais que tu peux comprendre, tu la connais aussi bien que moi, elle ne se calmera pas tant que tu ne lui auras pas demandé pardon.
Tu bondis : pardon ? pardon de quoi ? Non mais, il rêve : des excuses, et quoi encore ?
Il te caresse la main : prends sur toi, tu en es capable, ça ne te demandera que quelques secondes et tout sera terminé ; tu t'étrangles : mais je n'ai rien fait, c'est Elle qui a tout inventé ; il susurre ; je sais bien, mais qu'est-ce que ça te coûte ? fais le premier pas ; tu dis : jamais ! Sois plus maligne qu'elle ; intelligente ! mais ça change tout, touché, coulé, il a fait mouche, plus intelligente qu'Elle ! enfin, il reconnaît ta valeur. Tu te rengorges, mais c'est toi, l'idiote, qui te fais rouler dans la farine, au nom de cette foutue intelligence que vous auriez en partage, lui et toi. Il est fort sur ce coup-ci, le bras autour de ton épaule : alors, je peux compter sur toi ? Sa main qui te palpe, ses yeux pâles dans tes yeux noirs, violons, rideau, applaudissements...
Tu te fais avoir à tous les coups pour lui sauver la mise sous prétexte qu'Elle lui fait une vie de chien avec ses rages et ses scènes à répétition, que ne ferais-tu pas pour ton papa que tu aimes tant - ce pauvre papa si intelligent qui travaille si dur pour vous -, pour lui être agréable, toi qui as en partage sa si belle intelligence ? Procéder du père, de lui seuil, ça te va bien. Ainsi soit-il. Et peu importe si lui, pas plus qu'Elle, ne semble remarquer que tu es devenue l'ombre de toi-même. Ils ont ça en partage : ils ne te voient pas.
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Tu aimerais lui dire quelque chose de pensé, de pesé, d'essentiel, à la mesure de ce qu'elle t'a apporté, de ce qu'elle a chamboulé en toi, mais tu ne trouves pas les mots. Tu te contentes de murmurer un merci, et encore un - merci, merci - tous deux à peine audibles.

Tu emportes, au creux de ta valise, le bol qu'elle t'a offert. Un bol bleu laiteux, de cette couleur indéfinissable qu'ont les yeux des tout-petits lorsqu'ils ouvrent sur le monde, de l'océan qui tempère l'or du sable au couchant, de l'infini pluriel de ton coeur réparé.

Tu es la même et pourtant autre, à l'autre bout de toi. Tu as l'impression qu'autre chose peut commencer. Quoi ? Tu ne sais pas au juste, mais pour la première fois, tu as la sensation d'appartenir à un grand tout qui te dépasse, le tout des vivants reliés entre eux par une énergie palpable, arc électrique qui embrase et vivifie.
Tu as retrouvé ta joie, fragile, mais intacte au fond de toi, comme un cristal précieux transparent et sonore. Personne ne pourra te la voler. Surtout pas Elle.
Elle est ombre, Elle est autre, Elle ne réussira plus à te faire croire que vous êtes semblables. Tu ne partages pas sa folie.
C'est son histoire, pas la tienne. Tu n'as que faire d'une vie dominée par la haine. Tu ne te laisseras pas entraîner dans le sillon boueux tracé par Grandma. Une, ça suffit.
[...]
Comment-est-Elle devenue cette femme aux ailes froissées, ligotée dans sa plainte et dans cette vie étriquée qui ne lui convient pas ? Pourquoi s'est-Elle fabriqué cette cage ?
Tu la voyais bourreau et tu la découvres victime. Et si, en fin de compte, Elle était plus à plaindre que toi ?

Tu n'es plus l'oiseau mazouté aux ailes goudronnées, tout poisseux, incapable de voler, tu es une rescapée, une survivante.
Il y a de la lumière là-dedans, ça crépite, tu le sens. Rien n'est gagné, tu en as bien conscience, mais quelque chose frémit. Y a de l'espoir, comme dirait Bonpa. Va falloir que tu te battes, ça tombe bien, tu te sens guerrière. Aux armes, à la vie !
Alors oui, il y aura d'autres plongeons, de grands ploufs dans des eaux glaciales et puantes, et sans doute des déserts de pierre à traverser, pieds nus sur des cailloux tranchants. Rien n'est jamais tout rose ou tout noir. Tu vas encore trébucher, tomber, en baver, mais quand on est du côté des vivants, on trouve la force de se relever.
Il y a du sang frais qui pulse dans ta grande marmite.
Ta vie est devant toi. C'est un petit capital qui t'appartient en propre. Tu es libre d'en faire ce que tu veux : un champ de mine, un cloaque ou un atoll enchanté. Il n'y a pas de fatalité. A toi de ne pas te laisser entraîner là où tu ne veux pas aller.
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Jamais tu n'avais perçu avec autant de netteté le contour de ton corps et l'énergie qui s'en dégage. Jamais tu ne t'étais sentie aussi une et différenciée. Tu n'est plus prise dans la masse, dans ce magma familial qui t'engloutissait, t'anéantissait, tu es libre et vivante. Tu inspires, tu expires, tu as cette chance : pour la première fois, tu as conscience d'être à la tête d'une petite entreprise en bon état de marche. Oui, c'est ça, tu ne te sens plus grosse machine déglinguée, plutôt pièce d'horlogerie pas si mal usinée, et même éventuellement capable de se révéler fiable à l'usage.
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- Mais arrête donc de te faire des noeuds, dit Susan, sois toi-même, tout simplement. D'ailleurs tu n'as pas le choix : tous les autres sont pris.
Elle rit :
- Ce n'est pas de moi, mais d'Oscar Wilde.
Pas si facile d'être soi quand on ne sait pas exactement qui on est. Ton moi est un drôle de puzzle dont les pièces sont disséminées aux quatre coins de toi. Tu aimerais bien le reconstituer en entier, mais tu as beau faire, il manque toujours des morceaux. Pour l'instant, l'image est pleine de trous.
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- Mais non, tu te débrouilles comme un chef, on dirait que tu as fait ça toute ta vie. Allez, enlève le surplus. T'as bien pigé la forme, c'est parfait. Maintenant, tu prends une éponge et tu finis ce bord. Il est trop fin. Il faut toujours que le bord soit de la même épaisseur que ton pot, qu'on n'ait pas l'impression que tu as manqué de terre. Allez ! on recommence.
- Ah non, ne le détruis pas, celui-là, il n'est pas si mal réussi.
- Tu peux mieux faire.
- Tu es sans pitié.
- On n'apprend pas avec de la pitié.
[...]
Cahin-caha, tu modèles ta guérison comme on tourne un vase.
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Le Cadran est un grand organisme vivant qui respire, s'étire, grommelle, un carrefour de flux de toutes sortes. On y entre, on en sort, les bras chargés de blocs de terre, de fleurs, de vaisselle, de lourds paniers de fruits, abricots, pêches, fraises, framboises : ici l'été se déguste jour après jours sous forme de tartes, de compotes, de confitures. La vieille Encke, penchée sur la grande bassine de cuivre qui bouillonne à bas bruit sur la cuisinière, veille en guettant la perle, une cuillère en bois à la main. L'apiculteur s'invite pour un café : on vient de l'appeler pour récupérer un essaim sauvage, coincé entre une fenêtre et son volet, il a fallu démonter les rayons gorgés de miel et les loger dans une ruchette. [...] Fred, le kiné au catogan gris, débarque pour la séance de massage quotidienne de Suzan [...]
On ne sait jamais combien on sera pour le déjeuner, pour le dîner. Il y a les amis, celles qu'Albert appelle les copines : Coren qui tricote des mitaines d'été en coton perlé coloré en hochant trop souvent la tête, Godelieve, la poétesse, toujours prête à déclamer ses textes d'un air pénétré qui donne envie de rire, Kadidja qui apporte des cornes de gazelle de sa confection, gorgées d'huile et de miel, mais qui est surtout un as de la réflexologie, [...] Kaat qui boit des litres de jus de pamplemousse additionnés d'eau gazeuse pour chasser une furieuse envie de picoler, la douce Hilke qui ne se déplace jamais sans Clams, son fils handicapé, un gentil garçon qui bave un peu et dont le pauvre corps est traversé sporadiquement de spasmes incontrôlés, comme s'il était branché sur du courant à mille volts.
On bricole, on improvise. Lorsqu'il y en a pour dix, il y en a pour vingt. Quant à savoir comment tous ces gens si différents se sont retrouvés là ? Personne n'est en mesure de le dire. C'est l'effet Susan, résume Albert.
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La pièce dans laquelle vous pénétrez est aussi grande qu'une patinoire, murs et sols peints en gris, un beau gris qui brille comme la surface de la mer à contre-jour au couchant, tu n'as jamais vu pareille immensité, patchée de meubles de couleur vive comme des îlots joyeux disséminés sur toute la surface, chaises vert lotus, mandarine, citron, table bleu lagon, et partout, partout, de grands dessins placardés aux murs et des vases aux incroyables formes végétales, lys aux pétales pourpres, bouquet d'hortensias blancs troués en leur milieu, grappes de rose thé, et la lumière qui entre à flots et fait briller les émaux et ourle chaque objet d'une ombre bleue.
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Le vent [...] crache au visage des bribes de phrases, un charabia de mots que tu ne comprends pas, entrecoupé de rires et de sifflements. [...] Tu es une pierre à l'arrière de cette voiture. Tu n'y arriveras jamais, tu pèses trop lourd. Tu te recroquevilles dans l'habitacle. Mais qu'est-ce que tu fais ici ? Tu te réjouissais tellement de cette échappée avec Klara, et là, tu te sens étrangère, exclue, loin de tes bases. Tu es le coucou qui fait son nid dans celui des autres. En vérité, c'est toi le problème. Tu as beau jeu de dire que ce sont toujours les autres, c'est toi qui cloches.
Quel intérêt Klara te trouve-t-elle ? Si elle savait, ah oui ! Si seulement elle savait combien ton coeur est sec et aride, si elle pouvait mesurer l'étendue du désastre, ce champ désolé qui t'habite, ce voile sale qui recouvre chaque atome de ton moi, cette pollution interne qui poisse tout. Tu en as assez de faire semblant, de prétendre être adaptée à la vie, alors qu'en toi, tout est déconnecté, tabula ras, avec au beau milieu un monceau de trucs en vrac que tu n'arrives pas à rabouter ensemble.
Tu fermes les yeux. Ah si tu pouvais mourir à l'instant, là tout de suite, mourir et te désagréger sur place, ffuit... n'être plus qu'un petit tas de cendres qui s'envolerait au vent. Bon débarras.
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