De la providence - De la constance du sage - De la tranquillité de l'âme - Du loisir

"Je ne dis pas qu'il [l'homme de bien] ne le [l'adversité] sente pas, mais qu'il en triomphe; et, tout en demeurant calme et paisible, il se dresse contre les attaques. Tous les revers de fortune, il les regarde comme des occasions de s'exercer. Quel homme digne de ce nom, aspirant à la Vertu, ne désire une épreuve à sa mesure et ne court au-devant du danger pour accomplir son devoir? Quel homme actif ne considère pas le repos comme une punition?"

"Pourquoi les hommes de bien sont-ils victimes de tant de malheurs? Il ne peut rien arriver de mal à l'homme de bien: les contraires ne se rejoignent pas! Tous ces fleuves, toutes ces pluies qui tombent du haut du ciel, toutes ces sources médicinales, ne changent pas le goût de l'eau de mer, ne l'adoucissent même pas; de la même façon, le choc de l'adversité ne change rien chez un homme de valeur: il reste imperturbable et c'est lui qui communique à chaque événement sa propre couleur, car il est plus puissant que tout ce qui lui est extérieur."

"Le devoir de l'homme, c'est d'être utile aux hommes; à beaucoup si possible, sinon, à quelques-uns; sinon, à ses proches; sinon, à soi-même. En effet, quand on se rend utile aux autres, on sert la communauté: en s'avilissant, on n'est pas seulement nuisible à soi-même, mais aussi à tous ceux auxquels, en s'améliorant, on aurait pu rendre service; à l'inverse, quand on est bienfaisant envers soi-même, on est utile aux autres en ceci qu'on se met en état de leur être utile."

"Il faut donc ramener les choses à leurs justes proportions et les supporter avec bonne humeur: il est d'ailleurs plus conforme à la nature humaine de rire de la vie que d'en pleurer."

"Qui craindra la mort n'agira jamais en homme vivant; mais qui saura qu'à l'instant même de sa conception la mort était son destin vivra selon cet arrêt et, grâce à cette même force d'âme, ne se laissera jamais surprendre par un événement soudain. En se préparant à tous les accidents possibles, comme s'ils étaient inévitables, il amortira le choc de tous les malheurs. Les coups du sort n'étonnent jamais les hommes qui s'y sont préparés et attendent leur venue: ils n'écrasent que ceux qui voyaient tout en rose à l'intérieur de leur cocon."

"En outre, il ne faut pas ouvrir un large champ à nos désirs: imposons-leur de rester à proximité, puisque aussi bien ils ne sauraient se laisser enfermer totalement. Renonçons à ce qui est impossible ou ne peut que difficilement se réaliser; ne recherchons que ce qui est à notre portée et sourit à nos espoirs, en sachant néanmoins que tous ces biens sont également frivoles, tous différents vus du dehors, tous aussi vains au fond. N'envions pas les belles situations: là où nous croyions voir un sommet, il n'y a qu'un précipice."

"Il faut donc se faire à sa condition, s'en plaindre le moins possible et saisir tous les avantages qu'elle peut offrir: il n'est pas de situation si cruelle qu'une âme en paix ne puisse y trouver quelque douceur. Les espaces exigus s'ouvrent souvent à des usages multiples, grâce à l'habileté de l'architecte; le moindre mètre carré devient habitable, grâce à une organisation ingénieuse. Face aux difficultés, il faut faire appel à la raison: ce qui était dur peut s'assouplir, et les poids peuvent s'alléger quand on sait adroitement les porter."

"Habituons-nous à ne rien sacrifier au paraître et à évaluer les choses non d'après leur décoration mais d'après leur utilité. Mangeons pour calmer notre faim, buvons pour étancher notre soif et assouvissons nos désirs charnels en nous limitant au nécessaire. Apprenons à marcher sur nos propres jambes, à nous nourrir et à nous habiller non pas selon la mode, mais selon les coutumes que nous ont transmises nos ancêtres. Apprenons à mieux nous maîtriser, à réfréner notre amour du luxe, à modérer notre orgueil, à juguler nos colères, à regarder la pauvreté d'un oeil serein, à vivre dans la simplicité, même si beaucoup doivent trouver scandaleux de satisfaire à si peu de frais ses besoins naturels, de tenir sous le joug les espoirs effrénés d'une âme toujours tendus vers le futur et de travailler à ne pas demander la richesse au sort mais à nous-mêmes."

"Il convient ensuite d'évaluer la tâche même que nous entreprenons, et de mesurer nos forces par rapport à nos ambitions. On doit toujours être plus fort que le travail auquel on s'attaque: à vouloir soulever un fardeau trop lourd pour soi, on ne peut qu'être écrasé."

"Avant tout, il est nécessaire de s'évaluer soi-même, car généralement nous surestimons nos capacités: l'un s'effondre pour avoir présumé de son talent oratoire, l'autre impose à son patrimoine des dépenses trop lourdes pour lui, un autre encore exige de son corps chétif des efforts excessifs."