De la providence - De la constance du sage - De la tranquillité de l'âme - Du loisir

"Nous devons nous considérer d'abord nous-mêmes, puis les affaires que nous entreprenons, ensuite les hommes pour qui et avec qui nous travaillons."

"Nous devons donc chercher comment l'âme peut suivre un cours toujours égal et prospère, en travaillant à son propre bien, heureuse de contempler ce qu'elle possède, sans jamais interrompre cette joie, mais en restant au contraire dans un état de calme permanent, où ni l'exaltation ni la dépression n'ont de place. Voilà ce que sera la tranquillité."

"Ne nous laissons jamais aller aux disputes et aux batailles. Laissons là le combat, et, quels que soient les outrages que nous infligeront les insensés (car seuls les insensés sont capables d'outrage), n'y prêtons pas attention; mettons dans le même sac les honneurs de la foule et ses injustices: ils ne méritent ni notre joie, notre peine."

"Le Sage reçoit certains coups, mais après les avoir reçus, il en triomphe, et il soigne ses blessures, qui se cicatrisent. Mais ces pichenettes, il ne les sent même pas et il n'a pas besoin de faire appel contre elles au courage qui lui permet ordinairement d'endurer les rigueurs du sort: il ne les remarque pas ou y répond par un simple sourire."

"Ajoute aussi que personne ne peut subir une injustice en restant de marbre: on en est toujours profondément troublé. Or ce trouble est épargné à l'homme qui a quitté les fausses routes, qui est maître de lui et jouit d'une paix profonde et sans mélange. En effet, si l'injustice touche, elle émeut et bouleverse. Or le Sage ignore la colère, que provoque l'apparence de l'injustice; mais il ne peut l'ignorer que parce qu'il ignore aussi l'injustice, à laquelle il se sait inaccessible. Voilà pourquoi il est si fier et si gai, voilà pourquoi il est transporté d'une joie continuelle. Il est d'ailleurs si loin de se laisser heurter par les choses et les hommes, que l'injustice tourne à son profit: grâce à elle il se met à l'épreuve, voit ce dont sa vertu est capable."

En l'an 41, Sénèque, jugé par le Sénat, dut, comme on le sait, s'exiler en Corse, d'où il ne fut rappelé que sept années plus tard. C'est à ce moment, selon moi, que Lucilius posa à Sénèque la question dont il s'agit, et c'est de Corse que Sénèque répondit à Lucilius par l'envoi du De Prouidentia.

Lucilius, qui était gagné au stoïcisme, ne mettait pas en doute l'existence de la Providence ; il demandait, en disciple fidèle, des éclaircissements sur un point qui lui paraissait obscur. Il est probable, et à peu près certain, que des circonstances particulières avaient provoqué sa question, que ces circonstances concernaient Sénèque lui-même, et que Sénèque est l'« homme de bien » que Lucilius avait en vue. Mais Sénèque n'y fait aucune allusion directe et n'a garde de se mettre en scène. C'est une habitude du stoïcisme que de s'élever ainsi au-dessus des cas individuels, de généraliser les problèmes qu'ils soulèvent et de discuter ceux-ci dans leur ensemble.