Je ne sais pas comment expliquer les choses. Je ne sais pas lui dire que je veux qu’elle soit libre, sans attache par rapport à ses proches, indépendante et sereine. Mais que, malgré cela, je veux être le seul auprès de qui elle resterait.
Je ne peux être à personne si je ne suis pas guérie de lui. Et je ne suis pas guérie de lui. Je n’en ai même pas envie. Chaque rêve me renvoie vers son image. Chaque souvenir est imprégné de son empreinte. Chacun de ses battements de cœur vibre en attendant que je le retrouve.
J'ai l'impression de n'exister ici et maintenant que pour la serrer dans mes bras. Le soulagement et l'apaisement que j'y trouve me rappellent ce que je ne connais plus depuis trop longtemps. Cela devrait me faire peur. Mais avec Laure, ce n'est pas le cas. Elle est comme une crème cicatrisante sur mes plaies de petit garçon.
Cela fait 5 ans que je connais Laure, 5 ans que je l'observe, en sachant que son entourage ne la mérite pas, et que j'attends le moment où elle se réveillera et ouvrira Les yeux sur leur comportement. Elle s'efforce depuis autant de temps de rester une gentille fille modèle alors qu'elle n'est que fougue et audace à l'intérieur.
« - Mettons les choses au clair, je ne suis pas ton ex, annoncé-je calmement.
- Pardon ?
- Tu m'as bien entendu. Je ne suis pas ton ex. Pour être un ex, faut avoir été ensemble. Et toi et moi, continué-je en nous désignant du doigt, on n'a jamais été ensemble.
L'expression de Maeva devient horrifiée.
- Bien sûr que nous sommes sortis ensemble, rétorque-t-elle en colère.
- Non, désolé, ça ne compte pas. L'air semble lui manquer.
- Ca a compté pour moi.
Elle me gonfle. Moi, les petites nanas qui ne veulent pas comprendre que je n'en ai rien à foutre, je les vire. »
C'est la première fois que je ressens un truc pareil. La première fois qu'une femme s'installe dans ma vie et prend toute la place.
Auparavant, il n'y avait que moi. Seul ou pas, ça m'était égal. Mais depuis elle, la vision de mon monde a changé. Je veux être avec elle, pouvoir me dire qu'elle n'aimera nul autre que moi, que je nous protegerai pour toujours. C'est comme si mon égoisme etait plus centré uniquement sur moi mais sur nous. Cette sensation est effrayante parce qu elle m'est inconnue. Néanmoins, je me force à espérer que je ne nous perdrai pas.
Je fais quelques pas peu assurés dans la pièce. J'ai peur de découvrir ce que ce silence signifie. En arrivant près de son bureau, je découvre qu'elle a laissé en évidence : deux dessins posés l'un à côté de l'autre. Je reconnais celui de droite, il s'agit de son tatouage : le squelette de son phénix dans tout ce qu'il y a de plus sombre, la rose défraichie entre ses serres. Sur l'autre feuille, un homme habillé en noir - un peu comme une hombre -, le visage dissimulé sous la capuche d'un sweat. Il se tient debout, tête baissée, les bras le long du corps, avec la même rose colorée d'un rouge vif et d'un vert éclatant, dans une main. Elle est broyée par son poing, les pétales tombent le long de son flanc. Et sur le sol, à ses pieds, une minuscule cage à oiseau, vide et ouverte : celle de son phénix, j'en suis persuadé. Est-ce un tatouage... pour moi ?
J'attrape la feuille sans décoller mes yeux du dessin. Le symbole me frappe de plein fouet. Laure a complété son tatouage. Comme pour former un seul et même tableau. Je le visualise sur nos corps. Cela serait unique, sensationnel et majestueux.