(...) leur grand-mère et leur grand père consacraient tout leur amour au dieu étrange et invisible qui trônait dans le ciel. Leurs grands parents étaient leur seule chance d'être aimés. Pourquoi donnaient-ils cet amour à Dieu, qui était déjà adoré par des millions d'humains ? C'était injuste.
Les uns plaisantaient parce que sa mère avait l’âge d’être sa grand-mère, les autres parce qu’il n’avait pas de père. Ces paroles avaient ouvert dans son âme une blessure inguérissable. Le plus drôle était que les autres enfants ne réalisaient pas à quel point leur comportement le faisait souffrir. Ils ne voyaient pas que ça ne l’amusait pas autant qu’eux.
On lui avait dit qu'il était un cas particulier, qu'on agissait parfois ainsi à titre exceptionnel. Le fait que sa mère adoptive travaillait comme assistante sociale de la Protection de l'Enfance pour la ville de Reykjavik y était sûrement pour quelque chose. Elle avait, entre autres, la responsabilité de déterminer s'il fallait ou non retirer des enfants à leurs parents. Comme elle faisait partie du système, Karl se doutait qu'elle n'avait pas eu besoin de faire des pieds et des mains pour adopter son frère. Sa propre adoption avait certainement été conclue dans les mêmes conditions.
L’expérience de vie qu’avaient Freya et Baldur coïncidait si mal avec les paroles divines qui s’échappait des lèvres de leurs grands-parents qu’ils s’étaient fait leur propre opinion : si Dieu existait et s’il était aussi vieux qu’on le disait, il devait avoir une mauvaise vue.
(Actes sud, p.189)
C'était singulier à quel point tout devenait insurmontable la nuit. Les plus petits problèmes se nourrissaient de l'obscurité, s'amplifiaient et devenaient écrasants. Dès le retour de la clarté, ils se dégonflaient et devenaient faciles à résoudre.
Elle le classait parmi ces gens qui s’enduisent d’huile le matin pour que personne ne réussisse à leur coller de responsabilité dans la journée
Ce qu'on désire le plus n'est pas forcément à la hauteur de ce qu'on attend.
Mais dans le cas d'une enquête criminelle, l'arrestation du coupable ne réglait pas tout. Avec le temps, les enquêteurs, les témoins, les juges et les avocats cesseraient d'y penser. Affaire classée. Mais pour les proches de la victime et la famille de l'assassin, la vie ne serait plus jamais pareille.
Elle était toujours habitée par l’étincelle d’espoir que les déceptions répétées avaient étouffée chez les autres.
On lui avait imposé cette tâche ingrate plus d'une fois lors des enquêtes précédentes. C'était aussi valorisant que de ranger la cuisine. Dès que le lave-vaisselle commençait à tourner, une tasse surgissait dans l'évier comme par magie. Et avant qu'on ait le temps de se retourner, tout était déjà à refaire.