Citations sur Par une nuit où la lune ne s'est pas levée (24)
Quand il eût fini sa dédicace en tûmchouq, il la lut plusieurs fois, syllabe par syllabe ; ... Les mots par lui murmurés sonnaient comme une formule secrète au son inconnu, qui suscitait en moi un léger vertige, une douce ivresse, comme des grains de sable flottant où baignaient tous mes sens.
Nous aurions souhaité, pour garnir le sol, un tapis de feuilles d'arbre de Boddhi, mais le seul de Pékin se trouvait devant le bureau de ma mère, et nous décidâmes d'y renoncer, nous contentant de feuilles de ginkgo, un arbre moins sacré de la cour de l'oncle de Ma. Des feuilles vert délavé, parfois jaune pâle, avec des bords brunis, ou jaune soufre, légèrement irrégulières mais joliment dentelées, en forme de papillon à quatre ailes, ou d'oiseau, ou de lune, qui crissaient lorsque nous nous y allongions, comme un vieux lit à ressorts, d'où montait une odeur douce et exquise de terre.
À certains stades de notre vie, ou d'une recherche, nous sommes poussés, pour une raison qui nous reste souvent obscure, à prendre des décisions qui s'avèrent, après coup, lourdes de sens.
Pour elle, le tûmchouq était le Sauveur, Dieu, dont le pouvoir mythique fut encore renforcé par ces phrases de son mari : «Je ne peux me permettre de te raconter le texte, non parce qu'il manque la fin mais que la beauté de cette langue est intraduisible. Presque trop belle pour survivre en ce monde. Ni moi ni aucun écrivain chinois actuel, à mon avis, n'est capable de rendre la moitié de son charme, il ne peut faire qu'une traduction mot à mot, un squelette sans chair ni vie. Cela m'évoque l'expérience malheureuse de ma traduction de Gogol : en dépit de mes efforts et de tous les éloges dont on m'a gratifié, la beauté du texte original a glissé entre mes doigts, j'en ai pleuré tant cela me fit mal, et je songe à tous les malheureux dans le monde — Dieu sait combien ils sont nombreux — qui ne lisent pas le russe et mourront un jour sans jamais avoir goûté la beauté de la prose gogolienne. Quelle horreur ! »
«Le domaine des livres sacrés du bouddhisme, que l'on nomme les sûtras, est immense comme un océan sur lequel chacun de nous est une petite barque qui progresse, se perd, et progresse encore.»
On ne connaîtra jamais les véritables causes de l'effondrement de l'Empire : fut-ce une pure coïncidence ? La conjugaison de nombreux éléments négatifs ? ou seulement la conséquence inévitable, prévue par la loi confucéenne, de la succession illégale de Tongzhi par Guangxu ?
Ce que je vécus à cette époque me fut salutaire. N'existe-t-il dans une vie qu'un seul et unique amour ? Tous nos amants, du premier au dernier, y compris le plus éphémère, font-ils partie de cet amour unique, et chacun n'en est-il qu'une forme, une variante, une version particulière ?
Le matin dans mon lit, je m'imaginais souvent agonisante, frappée d'une maladie mortelle, et me mettais à rédiger ma propre notice nécrologique, intitulée : Un perroquet révolutionnaire sous le soleil de Pékin.
Souvent , Tûmchouq me racontait des histoires - c'était ma drogue , mais aussi la sienne - , après notre repas .
... il passa la majeure partie de sa vie à peindre le portrait des innombrables concubines, portraits d'après lesquels l'empereur choisissait chaque soir sa partenaire sexuelle, tant l'objectivité du peintre missionnaire, la rigueur de son réalisme, la précision de ses détails étaient exemplaires, à faire pâlir d'envie n'importe quel photographe actuel.