Ce livre de
Steve Silberman se présente comme un « plaidoyer pour la neurodiversité » et est marketé comme « best-seller, succès critique et public international » : je m'attendais donc à un ouvrage de vulgarisation de l'autisme, avec différentes anecdotes, qui serait à la fois intéressant et assez digeste pour être emporté et lu dans le train, en forêt ou ailleurs ; un bon roman d'été qui aurait été une excellente alternative à mes voisines en bikini qui s'étaient jetées sur le dernier feel-good-book ou le dernier polar américo-suédois. Que nenni ! Si cet ouvrage a été en effet très intéressant, j'ai dû m'accrocher pour trouver l'énergie et la concentration nécessaire pour tout bien comprendre, ainsi que pour le terminer dans les 30 jours impartis à la masse critique.
Neuros-Tribus : Autisme : plaidoyer pour la neurodiversité est un ouvrage journalistique (scientifique pourrais-je dire ?) extrêmement détaillé et sourcé : jusqu'à 188 notes par chapitre, apportant des précisions sur les études et articles scientifiques cités, pour qui voudrait approfondir le sujet. Plus qu'un ouvrage sur l'autisme, c'est un livre qui condense en 489 pages (denses, certes) l'histoire de l'autisme : du début où les enfants étaient catalogués comme fous ou idiots, à l'association malheureuse à la schizophrénie, en passant par les travaux d'Asperger, Kanner et Lorna Wing, jusqu'aux dernières lois passées par
Obama aux USA pour permettre une meilleure prise en charge et de meilleurs droits pour les personnes autistes. A noter que ce livre se focalise donc sur l'Allemagne, l'Autriche et les Etats-Unis.
Le point fort de ce livre est qu'il montre non seulement que les autistes ne sont pas des handicapés dépendants, mais au contraire qu'ils s'épanouissent pleinement quand leur milieu est adapté (et que les attentes ne sont pas ciblées sur leurs faiblesses) ; mais surtout qu'ils représentent une vraie force dans notre société. Beaucoup de grands scientifiques qui ont façonné le monde d'aujourd'hui pourraient être aujourd'hui diagnostiqué autistes, de même que beaucoup d'ingénieurs ou programmeurs à l'origine d'internet, ainsi que des écrivains, compositeurs et un tas d'autres métiers. Certains chapitres sont des biographies complètes de personnalités autistes qui ont révolutionné le monde, d'autres démontrent avec le recul comment tel comportement perçu comme « digne d'un savant fou et faisant partie du génie » aurait en réalité été diagnostiqué comme de la « schizophrénie autistique » par de nombreux psychologues.
De même qu'on ne juge pas l'intelligence des poissons en les faisant grimper aux arbres, si on juge des personnes autistes sur leurs capacités à se concentrer, à approfondir un domaine ou à apprendre une grande quantité d'informations par coeur, elles supplanteront largement les personnes neurotypiques. Encore faut-il que ces personnes aient l'accès à l'éducation, aux études supérieures, et qu'on leur fasse travailler leurs forces plutôt que de s'échiner à les faire parler avant l'âge réglementaires quand elles sont simplement occupées à développer d'autres facultés.
J'ai trouvé très intéressant que
Steve Silberman rappelle en quoi la question du diagnostic est cruciale : au-delà de la perception d'elle-même qu'a la personne autiste ou son entourage (si elle est diagnostiquée folle/retardée/autiste/schizophrène/haut ou bas potentiel), c'est tout l'accès à ses soins (et à leur remboursement éventuel) qui est en jeu : pédagogues à domiciles, classes spéciales, intégration en milieu scolaire, mais surtout infirmières, orthophonistes, ergothérapeutes… Car si les classes aisées peuvent souvent se payer ces soins (à condition d'être prêtes à y passer le temps nécessaire), pour les plus pauvres, c'est la seule solution pour éviter l'hospice, conseillé comme « solution la plus simple » jusqu'à récemment.
Si ce livre est très intéressant factuellement (et je le conseillerais volontiers aux familles concernées ou à tous les thérapeutes qui travaillent avec des personnes autistes), il reste assez difficile d'accès. Il faut prévoir pas mal de temps, potentiellement de lire un livre plus « divertissant » à côté, et d'être pleinement concentré pour bien saisir les différents concepts et l'avancement des découvertes, bien-sûr simultanées ou au contraire, faites de longues régressions avant qu'un savant déterre des études jugées inintéressantes. Mes chapitres préférés ont été ceux plus « concrets », où l'on voit concrètement comment des autistes et leurs parents trouvent des moyens innovants pour communiquer (génériques de films pour décrire leurs émotions, petits rubans de couleur pour dire s'ils ont envie d'être abordés en société…). Ces petits moyens si simples à mettre en place sont des vraies clés pour quiconque voudrait une société plus inclusive où tous se sentiraient à leur place !
Attention pour les personnes concernées et les âmes sensibles : certains passages sur des expériences punitives se révèlent très violents (décharges électriques, privations, menaces), tristes résultats d'expérimentation par des savants sans éthiques mais aussi par les nazis et leur grande conception de l'eugénisme…
J'ai également apprécié que la question de l'autisme au féminin et plus globalement le sous-diagnostic des femmes autistes soit abordé, bien qu'assez courtement.
Enfin, c'est un livre qui est un beau pied de nez aux idées reçues : on y croise des autistes qui expriment leurs sentiments sans problèmes, d'autres qui ont fait carrière dans le dessin ou des métiers divers, des autistes qui font des blagues sur tout et aussi sur eux-mêmes… Bref, une jolie ôde à la diversité et à tous les gens « différents » qui ont tant à offrir !
Merci à Babelio et aux éditions Quanto pour l'envoi de ce livre dans le cadre de la Masse Critique de non fiction !