Elle se mit à sourire et ce sourire multipliait par deux le bonheur du monde
Le cinquième jour, le pasteur sous le glacier commença à craindre pour sa santé mentale. Il se livra à la chose la plus naturelle qui soit pour un Islandais bloqué dans une impasse. Réciter vers et comptines, déclamer quatrains et, poèmes épiques, chanter haut et fort pour soi-même et une fois ce répertoire épuisé, s'attaquer à celui des psaumes. Il s'agit là d'un antique remède qui ne déçoit jamais celui qui souhaite conserver son sens commun.
Il sursauta. Lança un regard vers la gauche où il vit la rousse - laquelle ressemblait à un diable noir comme du charbon.
Puis, elle disparut.
Silence sépulcral. Pas même un battement de coeur.
Se pouvait-il qu'il soit mort?
Le soleil réchauffe le corps blême de l'homme, en même temps que la neige qui craque avec un bruit feutré: l'homme est l'oiseau du jour.
Les renardes au pelage roux comme la lande ressemblent tellement à ces rochers étonnamment accueillants. Lorsqu'elles se tapissent auprès d'eux, il n'y a aucun espoir de les distinguer du roc lui-même, oh oui elles se montrent bien plus habiles que leurs blanches cousines dont la silhouette toujours se trahit en dessinant une tâche jaune sur la neige glacée.
La renarde ferme les yeux. Et lorsqu'elle les ouvre à nouveau, l'homme est parti.
Elle lève la tête
A ce moment-là, le Révérend Baldur Skugasson , Baldur fils de l'ombre, place son doigt sur la gêchette.
Les enfants mongoliens de Down n'étaient donc pas parvenus à maturation totale; ils étaient condamnés à demeurer puérils et timides toute leur vie. (...) En Islande, on les supprimait à la naissance.(...) avant même qu'ils ne parviennent à pousser leur premier cri, la sage-femme leur obstruait les sens, renvoyant par ce geste ce souffle dans l'immense réservoir d'âmes d'où tout être humain est extrait. (...)
Mais il advenait toujours que quelques fœtus ratés passent au travers: cela se produisait en des lieux perdus et oubliés de Dieu et où nul ne pouvait venir se substituer au jugement de mères qui pensaient détenir un trésor en la personne de leurs enfants, en dépit de leur étrangeté. (p. 70 et 71)
Les "mangeurs de lotus" étaient un groupe de gens qui mesuraient leur existence à l'aune de la poésie française d'écrivains comme Baudelaire, Nerval, Gautier et Musset – et ils organisaient des banquets – sur le compte desquels couraient bien des histoires mais auxquels peu de gens assistaient – où les plantes médicinales transportaient les hôtes dans de nouveaux mondes, tant charnels que spirituels – avec diligence et tout en douceur. Friðrik était un hôte assidu de ces réunions et, une fois qu'ils redescendaient juste de montagnes russes éthérées, il déclara à ses compagnons de voyage :
– J'ai vu l'univers ! Il est constitué de poèmes !
Les Danois se dirent qu'il avait parlé là en "rigtig Islæding", c'est à dire en authentique Islandais.
Elle se mit à sourire et ce sourire multipliait par deux le bonheur du monde.
-Vous voulez nous rendre sourds ou quoi?
Le coeur du révérend Baldur manqua une mesure. Celui qui l'interrogeait n'était pas un sauveteur qui se serait trouvé à l'extérieur sur l'étandue neigeuse; non, l'inquisiteur effronté lui tenait compagnie à l'intérieur de la grotte - on seulement, celui-ci était avec lui dans la grotte mais il se trouvait tout bonnement serré contre lui et, à vrai dire, à l'intérieur de ses vêtements.
Le pasteur poussa un hurlement d'effroi au moment où il sentit la renarde se retourner contre sa poitrine. (P.104)