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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Quand t'es dans le désert…

Mae, croupière dans le Nevada, une vieille caravane, pas de chien, juste un fusil. Elle s'aventure la nuit, la poussière tourne autour d'elle, des yeux de coyotes la scrutent. Les lumières se sont éteintes, loin de l'agitation frénétique de ces villes de jeux et de néons. Même la lune a disparu. Et quand le bleuté de la lune s'enfuit sur d'autres horizons, la vie perd de son sens, ne lui laissant que les souvenirs passés, seule dans ce désert.

La serveuse lui dépose son verre de whisky, et d'un air dégoûté, cette tranche de boeuf XXL tellement saignant que son coeur parait battre encore dans cet amas de chair rouge. Une télévision en fond d'écran derrière le comptoir. Les chaines d'infos en continu diffusent toujours les mêmes images. Inlassablement. Eternellement. Des avions qui s'écrasent contre deux tours. Des tours qui s'effondrent. Des victimes effondrées de peur, de rage, de terreur. Mae jouit de ce spectacle, coupée de la réalité du monde, ne voyant défiler depuis des années que des cartes de couleurs noir ténèbre ou rouge sang et des jetons noir et rouge. Indifférente à la vie de ces mortels, si ce n'est que pendant 7 secondes, 7 putains de longues secondes qui passent en boucle et durent des minutes, des heures, elle reconnait Laurel, amante et aimante d'un passé oublié. Et son passé ressurgit de sa mémoire.

Les cauchemars de l'Amérique en toile de fond, le désert du Nevada en décor. Les souvenirs de Mae la ramènent à son enfance, entre indifférence des parents et inceste d'un frère tortionnaire. Une fuite pour s'échapper, le temps d'un été, the summer of love, et les voix douces et aimantes d'un gourou, une guitare folk et l'amour libre, baises sauvages dans la nature l'esprit libre et la haine envers les cochons. California Girls. Un roman inclassable et dérangeant, les chapitres sont aussi courts que la vie d'un corps qui plonge en haut d'une tour, double salto avant, les pages défilent aussi rapidement que deux tours mettent à s'écraser au sol. La poussière du désert est la même qu'à Ground Zero. 0 espoir, 0 soupir, je respire l'air du Nevada, loin du tumulte bruyant et lumineux des casinos, à la lumière des étoiles, sous le regard hurlant d'un coyote sauvage – mais pas autant que Mae – la couleur de la nuit est celle d'une nuit sans lune. Mais une nuit illuminée par la musique de Captain Beefheart et son magic band, les pieds dans le sable.
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Pensant laisser de côté les lectures ardues [ :-)], j'ai abordé en toute innocence « La couleur de la nuit », ma première incursion dans le monde de Madison Smart Bell. Moi qui mets souvent en place des stratégies d'opposition, de résistance ou de contournement de la violence et à la sauvagerie, j'ai été harponnée des le premier paragraphe. « Comme mon coeur a chanté quand les tours sont tombées ! ... ». Ce premier paragraphe, j'ai du le relire pour m'assurer de ce qui était écrit, reconnaître la force du texte, et la force de la fascination pour la destruction.

Malgré la plongée vers le mal et l'horreur qui se dévoile au long du livre, on ressent la douceur toujours vivante de la relation entre les deux femmes, Laurel et Mae, qui se sont aimées trente ans auparavant.

Les marches dans le désert fournissent un espace qui rend le livre supportable, et en même temps une très belle représentation symbolique de ce qui se joue « le coyote a tourné la tête vers moi... Tout son être concentré sur l'ombre du rocher dans laquelle il savait certainement que je me trouvais.
On est restés ainsi, longtemps. Je l'ai gardé jusqu'à l'aube entre les traits croisés du viseur, et l'ai laissé partir.»
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Quel livre étonnant ! Au fil des nombreux et courts chapitres, se dessine le portrait d'une femme à la santé mentale plus que perturbée. L'ambiance est sombre, mystérieuse, les Flash-back s'enchaînent sans aucune chronologie, c'est sans doute parfois déroutant, mais participe à donner une atmosphère vraiment étrange au roman. Et pourtant la lecture de ce livre est facile tellement l'écriture est claire et précise, contrastant avec le climat mortifère de l'histoire et l'incroyable tension du récit.
"Avec nos couteaux nous avons tracé ce simple trait.
Ils saignent et meurent.
Pas nous."
Ce roman n'est pas un thriller, il n'est pas linéaire et reste surprenant du début jusqu'à la fin. Il est très littéraire et multiplie les références à la mythologie grecque (La Couleur de la nuit convoque les Orphée et les Médée des temps modernes dans une volonté de mettre à l'épreuve les vertus de l'antique catharsis) mais aussi à la secte de Charles Manson et aux attentats du 11 septembre. Et pourtant c'est un roman intimiste ! Bref on ne peut comparer La couleur de la nuit à aucun autre roman, c'est profondément original, passionnant et pour tout dire, I.N.D.I.S.P.E.N.S.A.B.L.E.
"D'autres nuits, il n'y avait pas de lune. Les cités et les villes, toutes lointaines, étaient encore impuissantes à teinter le dôme céleste du reflet de leur lumière dilapidée. Sans lune, la couleur de la nuit était celle d'un riche velours noir, comme si on était plongé dans du chocolat, ou au coeur d'un sombre flot de sang coulant dans une veine profonde."
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Trajectoire déjantée et exorcisme personnel d'une rescapée d'une secte, que le 11/09/ 2001 réveille

Paru presque simultanément aux Etats-Unis et en France en 2011, ce nouveau livre de Madison Smartt Bell a eu un peu de mal à trouver sa place dans son pays d'origine : sa première phrase garde en effet là-bas des allures de tabou puissant : "Comme mon coeur a chanté quand les tours sont tombées ! Une telle poussée de force pure, se tordant, se désagrégeant, s'épanouissant en ce gigantesque astre de ruines avant de jeter au sol toute sa substance... Ces escarbilles semblables à des moucherons qui tournoyaient tout autour s'avéraient être des mortels jaillissant des flammes. Drapés dans le linceul de leurs cris, ils descendaient. Si j'avais su que la mort pouvait en détruire un tel nombre !"

Mae, l'héroïne, a passé plusieurs années au sein d'une secte hippie déjantée dans les années 1970. Musique rock, substances illicites, expériences mystiques, emprise d'un gourou dionysiaque,... l'adolescente y a été durablement transformée, et l'on n'apprendra que peu à peu à quel point, à travers les souvenirs et les actes de la Mae de 2002, prédatrice affûtée dissimulée sous la croupière de Las Vegas, quittant la nuit sa caravane pour tenir les créatures du désert dans la lunette de visée de son fusil... et qu'une image fugitivement entrevue à la télévision le 11 septembre 2001 va relancer dans un processus qu'elle avait oublié.

"Les puits de goudron de la Brea. Comment je m'étais retrouvée là, je n'aurais pas su le dire précisément. Peut-être en prenant un bus pour descendre le long de la côte, ou alors un véhicule privé en échange de quelques services particuliers rendus en chemin. J'étais assise en demi-lotus sur le rebord cimenté du trou noir. Il semblait d'un noir d'encre au premier abord, profond comme l'espace infini, mais à force de le fixer, j'ai commencé à distinguer un spectre dans le miroitement de la surface huileuse, à l'image des premières lueurs de l'aube qui tourbillonnent pour échapper à la couleur de la nuit."

Les 230 pages de cette étonnante trajectoire d'exorcisme personnel constituent une intense expérience de lecture, durant laquelle, bien souvent, on aura le sentiment que le Riau de la trilogie haïtienne, oscillant entre raisonnement et abandon aux puissances du vaudou, se tient à nos côtés et à ceux de la narratrice... Smartt Bell poursuit ici, et avec quelle force, son exploration des ressorts du mal et de la sauvagerie au sein de nos psychismes...
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j'ai ouvert ce livre un soir et je l'ai refermé le lendemain matin. Des similitudes dans la construction avec le" Maria" de Joan Didion, mais Madison vénère cette femme et s'en réclame, c'est donc un compliment.
Un conseil lisez ce livre .
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