Citations sur À la folie (107)
Les grands mélancoliques ont ceci de tragique qu’ils ne sont pas protégés par leur délire comme peuvent l’être les schizophrènes, qu’en ce sens leur douleur est plus préoccupante encore, qu’ils guérissent rarement.
Ce qui est certain c’est que je finirai à l’hôpital psychiatrique, l’hôpital général c’est pas pour moi, prendre la tension, faire des prises de sang quel ennui. À la rigueur l’Ehpad avec les vieux. Moi j’aime la merde, les laver, les toucher, les toucher surtout, leur caresser le bras.
Quand je lui demande qui est fou, le médecin répond le fou est celui qui se prend la réalité en pleine gueule.
Quand je lui demande qui est fou, le médecin répond le fou est celui qui se prend la réalité en pleine gueule. La plus petite parcelle de matière fond sur lui comme une météorite en feu, une goutte de pluie est d'acide, une poussière du poison, un coup d'oeil un coup de poignard. Rien ne le protège, tout fait violence, les traits se déforment sous l'impulsion d'une parole anodine ; le monde, les autres, les couleurs, les mouvements viennent d'imprimer directement au fer rouge sur le plan à vif de son visage.
Vous savez pourquoi ça ne fonctionne pas en psychiatrie ? Parce que le protocole c'est la globalisation, le contraire du singulier, sa mise à mort. Dans un protocole on ne soigne pas un fou mais des fous. Fou c'est le bon mot, mais uniquement au singulier. Si on dit les migrants, si on dit les fous, si on n'envisage plus que des groupes, des masses, comment être empathique, bienveillant ? Pas d'individu, pas d'affect. On aime que les êtres. C'est tellement plus facile de tuer cinq cents personnes qu'une seule.
Fabrice reconnaît dans cette histoire singulière un invariant, un poncif de la psychiatrie : l'individu atteint est bien souvent le symptôme d'une famille malade qui ne peut conserver sa cohérence et sa légitimité qu'en désignant un de ses membres comme l'élément perturbateur, le ferment du désordre.
L'esprit entraîne le corps dans sa chute, l'angoisse ralentit la course du sang dans les veines, le désamour de soi atteint les deux ventricules du cœur et tout leur être s'affaiblit.
En entretien, le psychiatre lui reproche de fuir la réalité et Pauline, avec aplomb, sans hésiter : vous avez vu la gueule de la réalité docteur ça donne pas envie.
Les suicidaires, tout autant que les schizophrènes, sont d'abord des suicidés de la société, ou de la famille ; le suicide est toujours une forme de meurtre, quelqu'un est tué, qui n'est pas seul au moment de mourir, des ombres l'entourent, des forces l'acculent, d'autres dirigent son geste, le soutiennent du moins ce geste inconcevable, impraticable, se défaire de sa propre vie, on ne saurait l'accomplir sous l’impulsion de sa seule volonté, c'est comme une décision prise à plusieurs, bien qu'un seul soit présent. p.238
L'inventaire forme avec le pyjama un redoutable diptyque, les deux faces de l'intronisation psychiatrique, un rite de renoncement et de soumission.