"T'as de la bonne ?
- La meilleure.
- Attention, j'ai des exigences élevées.
- T'en as jamais goûté d'la comac, j'te dis !
- Tu t'avances un peu vite, mon ami. J'ai déjà goûté de vraies merveilles ! Toutes sortes de Verne, du sublime Fullmetal Alchemist, du rarissime Steamboy, du…
- Ouais ouais ça va, j'ai compris, on t'la fait pas, à toi ! Essaie donc cette dose de
Rouille, c'est une p'tite cuvée de steampunk fournie par
Floriane Soulas, tu m'en diras des nouvelles !"
Je quitte donc mon libraire avec une dose d'un peu moins de 400 pages. La came est emballée avec soin, une superbe illustration toute de gris, de cuivre et de mystère… le programme est alléchant, et j'espère y trouver la même saveur que lors de mes précédentes expériences addictives.
Nous sommes en 1897, dans un Paris uchronique où l'Empire Napoléonien est toujours debout et où l'exploitation du minerai lunaire a permis des avancées scientifiques incroyables. C'est dans ce contexte inégalitaire, où le peuple est exclu du Dôme réservé aux castes les plus riches, que nous faisons la connaissance de Violante, aka Duchesse, prostituée amnésique vedette de sa maison close, les Jardins Mécaniques, et que sévit un tueur sanguinaire qui s'en prend à la meilleure amie de Violante, laquelle se décide de mener l'enquête…
Voilà pour le contexte : un Paris de fin de XIXe siècle sombre, inquiétant, oppressant. On sent que l'autrice, dont c'est le premier roman, a cherché à donner à son Paris une ambiance délétère, et force est de reconnaître que c'est - en partie - réussi. En partie seulement car, si l'on s'imagine assez facilement dans ce Paris poisseux, si l'on s'imprègne par moments sans difficulté de l'atmosphère anxiogène du roman, on referme le livre avec le sentiment que l'autrice n'a pas été au bout de son idée, semblant hésiter tout au long du texte entre le pur thriller historico-horrifique et le young adult un peu flippant mais pas trop.
Ainsi, le décalage est parfois déroutant, entre cette ambiance parisienne toxique et désespérée, et cette maison close dont la description semble totalement édulcorée. Si la volonté de l'autrice de ne pas vouloir érotiser la prostitution est logique et évidemment respectable, et s'il est évident qu'elle a effectué un remarquable travail de recherche pour essayer d'apporter la lumière sur les conditions de vie et de travail difficiles des prostituées, il est dommage d'avoir autant dilué le caractère sordide des lieux et des situations en donnant à la maison close un air de colonie de vacances, entre crêpages de chignons entre les résidentes et moniteurs dépassés par les événements.
Le traitement des personnages est à l'avenant : si on peut légitimement louer la galerie de personnages marquants et hauts en couleur, on ne peut s'empêcher de regretter leur écriture parfois simpliste qui nuit à l'immersion.
Ainsi, Violante, prostituée la plus demandée des Jardins Mécaniques, est l'héroïne du roman, et elle le sait ! Tout comme elle semble savoir, tant elle n'en fait qu'à sa tête, fait tout pour avoir systématiquement le dernier mot et agit en dépit du bon sens, qu'elle finira toujours par s'en sortir. C'est ainsi qu'elle peut se permettre sans hésiter de se jeter dans la gueule du loup ou de balancer des beignes à son souteneur sans en craindre les conséquences. Dresser le portrait d'une jeune femme forte et émancipée dans un environnement hostile aux femmes est louable en soi, j'ai simplement été déçu par le manque de failles du personnage qui, malgré son amnésie et sa quête d'identité, ne semble (quasiment) jamais en danger.
Les autres personnages servent de beaux faire-valoir à Violante, que ça soit Livia la méchante rivale qui lui cherche constamment des poux dans la tête sans qu'on ne sache trop pourquoi, Madeleine la maquerelle froide, injuste mais finalement sans influence, Léon l'impitoyable parrain de la prostitution parisienne à qui on ne la fait pas mais qui se fait marcher dessus par sa prostituée vedette d'1m50 sans réagir parce qu'au fond c'est pas un mauvais bougre, Jules le bras droit beau gosse inventeur de la bande, Surin le bourrin de service parce qu'il en faut toujours un, Armand de Vaulnay l'aristo bourgeois ténébreux aux intentions troubles… Seul le mystérieux tueur, au moins dans la première partie du roman, semble échapper à ce traitement simpliste en distillant une terreur bienvenue, même si l'évolution du personnage, convenue, est finalement un peu décevante.
L'univers promettait également beaucoup, avec son univers steampunk : de nouvelles sources d'énergie venant de la Lune ont permis un développement rapide des technologies, précipitant le développement du transhumanisme et de la biomécanique. Ainsi, nombreux sont les (riches) chanceux à pouvoir arborer des "augmentations", et l'on voit percer de nouvelles générations d'animaux améliorés, les animécas chiens policiers par exemple, permettant de lutter de plus en plus efficacement contre le crime qui gangrène la ville.
Néanmoins, ce contexte est trop peu exploré. Ainsi, on ne sait rien de cet Empire Napoléonien encore debout en 1897, et la nouvelle technologie, à une ou deux péripéties près, n'apporte finalement pas grand-chose ni à l'univers, ni à l'évolution de l'histoire. Encore une fois un peu dommage…
Enfin, l'écriture est plutôt efficace, les pages s'enchaînent vraiment bien, et c'est à mettre au crédit de l'autrice. Malgré les défauts présentés plus hauts, le livre se lit sans aucun déplaisir. Mention spéciale aux chapitres dédiés au tueur, qui apportent une touche angoissante sur une bonne partie du roman.
Néanmoins, l'histoire est assez prévisible : on tremble peu, et l'on devine assez rapidement les rôles et motivations de chacun.
En conclusion, en voyant le nombre de retours positifs qu'a ce livre, j'ai le sentiment que je n'étais tout simplement pas le public visé. J'aurais vraiment aimé aimer ce livre qui propose un univers différent, mais je n'ai tout simplement pas été transporté, la faute certainement à la tonalité hésitante du livre : là où j'attendais un thriller horrifique mâtiné de steampunk, j'ai trouvé un young adult frissonnant mais pour lequel je n'ai plus vraiment l'âge.
En bref…
Rouille est pour toi si… t'aimes les enquêtes dans des lieux lugubres, des personnages hauts en couleurs et frissonner un peu mais pas trop.
J'ai aimé :
- La lettre d'intention, alléchante
- Les chapitres dédiés au tueur
- L'écriture plutôt efficace
J'ai moins aimé :
- Un énorme goût d'inachevé, en partie à cause d'un manque de cohérence entre l'ambiance et les personnages
- Les personnages, de manière générale, Violante en particulier
- Prévisible