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sur 716 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Encore un auteur et un premier roman découvert grâce aux 68 premières Fois !
Ces rêves qu'on piétine se déroule à la fin de la seconde guerre mondiale et se focalise sur Magda Goebbels, la « première dame » du troisième Reich, figure infanticide monstrueuse. Sébastien Spitzer a choisi ce titre puissant et évocateur en pensant à William Butler Yeats, un poète irlandais nationaliste mort en 1939, dont des extraits de poèmes sont cités dans le livre.

Sébastien Spitzer met en oeuvre une forme de polyphonie sur plusieurs niveaux, temporels et géographiques, placée d'emblée dans des postures oppositionnelles : les proches d'Hitler d'un côté et quelques prisonniers rescapés des camps de concentration de l'autre. Tous font face à une débâcle, la défaite pour les puissants, les ultimes représailles pour les déportés. Tous revivent dans le temps présent, aux portes de la mort, les souvenirs du passé. Un troisième point de vue arrive aux deux tiers du récit, celui des sauveurs alliés qui découvrent à la fois les horreurs des nazis et l'infanticide commis dans le bunker.
Les personnages sont superbement travaillés, dans leur psychologie profonde et en même temps stylisés pour insister sur cette période horrible de l'Histoire. Ainsi, les rescapés des camps qui tentent de fuir et de rester en vie stigmatisent chacun à leur manière les horreurs du génocide : vandalisme et destructions des boutiques juives, arrestations et déportations sommaires, raffles, survie envers et contre tout, viols, expérimentations médicales, euthanasie des nouveaux nés à la naissance, travaux forcés… Les nazis véhiculent non seulement une idéologie mais aussi une bonne conscience, face aux agissements d'un parti dont le but avoué était de vaincre la menace russe communiste, sans trop chercher à savoir la réalité du génocide, sauf peut-être à la fin quand il faut en cacher vite et bien les preuves avant l'arrivée des alliés.
Le lien entre les passages consacrés aux fuyards rescapés et aux nazis réfugiés dans le bunker se fait par les poèmes de Yeats, présents dans le bunker et dans les camps et aussi par les lettres que Richard Friedländer écrit à sa fille adoptive, Magda : non datées mais classées chronologiquement, elles ponctuent le récit, lui redonnent de l'humanité, du bon sens, des valeurs citoyennes et familiales, une forme d'universalité dans l'Humain. Aucune des lettres n'est datée, sauf celle de Markus qui annonce justement la mort de Richard Friedländer…

Ce roman est riche d'une intertextualité protéiforme ; la littérature (Yeats, Goethe, Schiller), la musique et les arts appartenant à tous, chacun des personnages, quel que soit son camp ou sa place dans l'Histoire, peut se les approprier à sa mesure… Ainsi le Tod und Verklärung de William Strauss, d'inspiration métaphysique, sublime autant la chute des vaincus du troisième Reich que les parcours des condamnés à mort des camps de concentration et peut être écouté en fond sonore pendant la lecture. Magda Goebbels, pour tuer le temps dans le bunker, lit À l'ouest, rien de nouveau d'Erich Maria Remarque, roman interdit, pacifiste et bouleversant qui dénonce la monstruosité de la première guerre mondiale ; c'est l'occasion pour elle de revivre le souvenir de la mise à sac du cinéma où passait l'adaptation cinématographique du livre, séance à laquelle elle assistait avec un de ses amis, juif…
Ainsi que l'écrit Richard Friedländer dans une de ses lettres, chacun se fonde en passant des heures « à interroger la vie, à balayer la mystique, à gratter les mots, les idées, les grands auteurs ».

La personnalité de Martha Goebbels, telle que mise en lumière par Sébastien Spitzer, interroge. L'auteur insiste beaucoup sur ses jeunes années, sa naissance illégitime, puis le mariage de ses parents ; après son divorce, lorsque sa mère épouse un commerçant juif, ce dernier va l'élever et la chérir comme si elle était sa propre fille et elle va éprouver pour lui un attachement sincère. Cet itinéraire d'enfant gâtée, adulée, parfaitement éduquée, parlant plusieurs langues, qui a eu des camarades juifs, aurait pu déboucher sur une attitude tolérante et ouverte d'esprit.
Même si ses choix de vie semblent marqués par un certain pragmatisme et le goût du luxe et du confort matériel, elle entre au parti nazi plus pour combler une forme d'ennui et occuper ses journées après son divorce que par conviction. Jusque-là, même si elle apparaît sous un jour peu sympathique, elle est encore loin de la folie nazie.
Son mariage avec Goebbels repose sur un jeu de dupes, sur des mensonges, sur un pacte fragile pour lequel elle efface sa vie passée, en quête de position sociale et d'égards ; cette mère de sept enfants, dont six sont avec elle dans ce ventre de béton que représente le bunker est entre temps devenue une égérie, éblouie par le champ des possibles quand on est dans le camp des vainqueurs. Il est intéressant de constater que l'ennui la rattrape dans ses derniers jours qu'elle vit aussi « avec le souffle court de ceux qui sont hantés, effarés de l'intérieur, paniqués de partout ».

En général, j'aime assez me plonger dans des romans historiques bien documentés qui mettent en lumière un pan d'Histoire de manière originale par l'expression de points de vue peu conventionnels et par la confrontation de la sphère privée et de la sphère publique. Certes, la littérature est abondante sur le nazisme et ses horreurs, d'où la nécessité d'aborder les problématiques connues et archi-rebattues d'une manière à la fois originale, didactique et intimiste.
Je suis comblée avec ce roman qui oppose personnages référentiels et personnages de fiction. Aux côtés de Martha Goebbels, Sébastien Spitzer dresse de beaux portraits de femmes : Fela, protectrice jusqu'au bout de la petite Ava, ultime dépositaire des précieuses lettres des déportés, et Lee, la reporter de guerre. Ces femmes sont porteuses d'espoir et de mémoire parce que la vie continue mais qu'il ne faut pas oublier.
Un magnifique roman.
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« Ces rêves qu'on piétine » de Sébastien Spitzer nous plonge dans la psychée de Magda Goebbels, la femme de l'âme damnée d'Hitler, Joseph Goebbels. Dit comme cela, abruptement, on peut se demander l'intérêt de la démarche. Nous le savons tous, Magda fût la première dame du IIIème Reich, elle donnera six enfants à son terrifiant mari, le nabot boiteux ivre de haine, chargé jusqu'à ras la gueule par la morgue et le dégoût pour toute forme de compassion, d'humanité vu par lui comme étant de la pire des faiblesses. Magda fût trompée par tout ce que l'Allemagne comptât de premier ou second rôle au théâtre comme au cinéma dans une Allemagne nazie où le ministre de la propagande, apôtre de la radicalité, ne reculait devant rien pour tailler des croupières aux autres paladins du Reich qui devait durer mille ans.. les Speer, Ribbentrop, Himmler, Bormann.. Nous sommes en avril 1945, l'Allemagne est vaincue depuis longtemps, et pourtant Hitler, aidé de fanatiques comme Goebbels continue d'alimenter le brasier. le bateleur, l'artiste raté veut soigner ces adieux au monde. Il se suicidera à Berlin dans son bunker de la chancellerie le 30 avril. Magda Goebbels et ses enfants ainsi que Goebbels le suivront dans la mort le lendemain 1er mai. Magda, l'infanticide des six enfants né(e)s du second mariage avec Joseph Goebbels. Un fils survivra, pilote de la Luftwaffe et prisonnier en Italie. Il est le fruit d'un premier mariage (1921-1929) avec Günther Quandt, le richissime magnat et sa famille possédant BMW et les usines d'accumulateurs AG Afa (future Varta), un rouage incontournable de la machine de guerre nazie. On suit ainsi les pensées de Magda Goebbels, terrée, avec ses six enfants, son mari Joseph Goebbels et quelques fidèles nazis, dans le bunker avec Hitler à la fin d'avril 1945. La folie, la radicalité, les mensonges de Magda Goebbels font froids dans le dos même quand on a lu mainte et mainte fois les récits sur ces journées au moment de la chute de Berlin tombée aux mains des Soviétiques et de Joseph Staline. On affronte ce tunnel dans les limbes du fanatisme nazi avec un sentiment d'écoeurement face à la monstruosité des actes de cette femme infanticide (elle empoisonnera six de ses enfants avec du cyanure). Son ambition démesurée s'accommodera durant toutes ces années de conflit mondial avec les crimes massifs perpétrés par les nazis. « Ces rêves qu'on piétine » est une oeuvre de fiction qui s'appuie néanmoins sur des éléments historiques avérés. le génie de Spitzer tient dans l'entremêlement des récits et des voix. Outre Magda Goebbels, on suit Ava, petite fille née dans les camps et sa maman durant les marches de la mort qui firent des dizaines de milliers de victimes sur les routes d'Allemagne entre janvier et avril 1945. C'est ce second récit qui est le plus intéressant à mon sens. Au milieu des ténèbres, des souffrances, des atrocités commises par des Allemands fanatisés par douze ans de nazisme, Ava entrevoit la lumière.. Pour les hauts dignitaires nazis par contre, l'heure de solder les comptes est venu. Ava, la petite fille est détentrice d'un secret, des lettres de Richard Friedländer. Il était avant la guerre un riche commerçant juif, et il est le beau-père de la jeune Magda Goebbels qui s'appelle alors Magda Friedländer.. Un livre sublime porté par une plume rare, aux phrases ciselées qui nous montrent l'horreur de ces dernières semaines de conflit. C'est un récit sur la souffrance, la folie, le fanatisme, l'ambition, la sauvagerie d'un régime, qui même aux abois, n'aura de cesse de se radicaliser et de conduire à la mort des millions d'hommes, de femmes et d'enfants.. « Ces rêves qu'on piétine » de Sébastien Spitzer marque les esprits et laisse une trace, de celle qu'on n'oublie pas. Un très grand livre assurément.
Lien : https://thedude524.com/2019/..
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Quand les bourreaux ont deviné que le vent tournait et que la fin était proche, ils ont tenté de faire disparaître toutes les preuves des atrocités commises au nom d'une idéologie désormais en train de s'écrouler. Mais à travers des textes, des dessins, des lettres, que certains rescapés ont pu soustraire à leur frénésie de destruction, la Mémoire s'est échappée. Ces témoignages, c'est Aimé le Morave, Judah le Hongrois, Fela la Polonaise, Ava, l'enfant née à Auschwitz, après bien d'autres, qui vont se les transmettre en pleine débâcle allemande, comme on se passe un bâton de relais. Dans ces documents, des lettres écrites par un père juif, déporté puis mort à Buchenwald, à sa fille Magda Friedländer, épouse Goebbels.
Pendant ce temps, réfugiés auprès d'Hitler dans son bunker berlinois, quelques dignitaires nazis assistent impuissants à leur chute finale. Parmi eux un des plus hauts dirigeants du parti, Joseph Goebbels, sa femme et leurs 6 enfants.

Un premier roman pour Sébastien Spitzer en forme de biographie romancée, mais surtout une véritable pépite pour le lecteur. L'auteur adapte son style à deux récits qui s'imbriquent. D'un côté, un texte haletant fait de phrases courtes, parfois réduites à un seul verbe, pour relater la fuite de ceux qui, après avoir survécu à la barbarie nazie, veulent échapper à l'ordre de destruction finale. Mais plus que dans le désir de survie, le sentiment d'urgence se retrouve dans le devoir de mémoire dont ils se sentent chargés. de l'autre, la prose se fait plus narrative pour décrire l'ascension sociale de Magda, ambitieuse et sans pitié, puis sa lente agonie dans ce bunker vers une fin que l'on sait inéluctable.

Un roman troublant, bien documenté, sur l'attrait du pouvoir et sur une désillusion. Un véritable coup de coeur qui mérite un 20/20. Avec " Ces rêves qu'on piétine", Sébastien Sptizer a participé avec talent au devoir de mémoire.
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Ces rêves qu'on piétine... Un titre magnifique, je trouve, mais qui est tellement triste en même temps... Un choix judicieux de la part de l'auteur... Parce qu'il nous raconte ici les rêves de ces milliers de Juifs morts pour une cause qui ne faisait aucun sens... Des vies enlevés au nom de l'idéal d'un seul homme. Des destins écrasés. Des rêves qui ne se réaliserons jamais... Les rêves également d'un père, enfermé dans un camp, et qui les écrit à sa fille. Un père qui ne comprend plus le silence et l'indifférence de sa fille. Une fille qui a complétement renié l'éducation, les souvenirs, l'amour que lui a porté ce père... Cette fille, c'est Magda Goebbels. La femme de Joseph, le bras droit d'Hitler. Celui par qui l'horreur a été véhiculé. Magda, son plus grand rêve à elle, c'est une Allemagne Nazie qui gagne, qui règne sur le monde. Ces rêves à elle aussi seront piétinés. Heureusement. Sentant la fin approchée, les dernières heures passées dans le bunker, les rêves de ses enfants qu'elle avorte par le poison... Un livre troublant, touchant... Un livre qui raconte se pan de l'Histoire, atroce, incompréhensible. Un livre qui restera longtemps dans ma mémoire.
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Tread softly because you tread on my dreams...
Marche doucement car tu marches sur mes rêves. Mais ce vers de Yeats perd de sa saveur quand il est traduit.
Le titre de ce livre me faisait penser à Yeats. Et il va admirablement à ce roman.
Il en faut du talent, de la délicatesse et de la foi en l'humanité pour parvenir à décrire l'horreur, toucher du doigt le quotidien des bourreaux les plus médiatisés de l'Histoire.
Sébastien Spitzer vous entraine dans la marche horrible de ces rescapés des camps qui loin de se retrouver dans des draps de soie et accueillis à bras ouverts, doivent encore hors des barbelés, lutter pour leur survie, qui après des mois de privation de nourriture, identité, humanité, ne tient qu'à un fil. Seule la volonté, l'instinct animal et parfois la chance, permet à une poignée de réussir. Réussir pour transmettre le message. Pour raconter, au nom de tous les autres. Car l'absence d'identité fait que chacun devient la multitude.
De l'autre côté, vous suivez les dernières heures de Magda Goebbels. Entourée de ses souvenirs, de ses enfants, de son ambition aussi démesurée que mortifère. Vous vivez à ses côtés les derniers instants du Reich moribond, secoué par les bombes, assombri par la suie, dont les drapeaux partent en lambeaux.
Difficile de se confronter, même avec un livre en guise de bouclier, à autant d'horreur. Encaisser qu'un jour des milliers de survivants ont survécu au milieu de tant de haine. Encaisser qu'une femme a tué froidement ses enfants...Tout est raconté avec beaucoup de réalisme, une pointe de pudeur mais jamais de grandiloquence ni de sensationnalisme de mauvais goût.

Alors, faut-il le lire ? Oui. A ceux qui ont déjà lu moultes livres sur cette période maudite, vous pouvez sans souci ouvrir celui-ci. Il est unique. Il est dense. Il est de ceux qui restent, qui marquent, qui pèsent. A ceux qui ne sont pas familiers de cette époque de l'histoire lisez-le aussi.
En ce mois de juillet 2020, c'est pour le moment ma plus belle découverte littéraire de l'année. J'attends avec impatience la nouveau roman de l'auteur à paraitre en août.

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Je sors glacée de cette lecture.
Pour son premier roman, Sébastien Spitzer frappe incroyablement fort. Dans un style épuré et élégant, il raconte l'irracontable.
C'est d'abord la vie de Magda Goebbels, terrée dans son bunker et sur le point d'assassiner ses 6 enfants, alors que le IIIème Reich s'effondre et que les déportés avancent comme des fantômes dans les Marches la Mort.
C'est aussi la (sur)vie de quelques uns de ces déportés, hagards et ivres d'air pur sur ces routes écrasées de soleil, et parmi eux, une femme et une fillette qui se murmurent des poèmes de Yeats.
Mais à travers elles, Spitzer relate surtout la lutte entre ceux qui veulent effacer L Histoire (les nazis qui s'efforcent de faire disparaître toute trace de ce qui fut), et ceux qui veulent la préserver (les détenus des camps qui s'efforcent de la fixer sur des papiers de misère) -sans compter les reporters de guerre qui cherchent à l'exploiter.
J'ai été happée par ce récit, incapable de m'en détacher. Tout contribue à en faire une oeuvre hallucinante : le style, la recherche historique, le talent romanesque de l'auteur. Et je regrette que ma chronique ne soit pas à la hauteur de ce livre -mais je ne peux pas faire mieux ! Alors n'hésitez pas à vous y engloutir vous-mêmes, ça se lit très facilement. Toutefois, vous n'en sortirez pas indemnes ; ce n'est pas un roman que l'on oublie.

Et je remercie chaleureusement Afleurdelivres de m'avoir tant donné envie de le lire.
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Sur les routes des territoires de l'Est, une colonne de prisonniers des camps de la mort entame une marche funèbre orchestrée de silences funestes, victimes d'atroces souffrances, et la mort en chemin rôde ; seuls quelques rescapés survivent de l'enfer, le moral en lambeaux ; des ombres fantomatiques à peine debout.

Un rouleau de cuir contenant plusieurs lettres - parmi elles celles d'un père à sa fille - passe de mains en mains parmi ces survivants, lettres d'un homme mort dans un camp, Richard Friedländer, renié par sa fille, Magda. Une enfant frêle et mutique, Ava, sera la dépositaire de ces révélations tragiques – mémoires écrites d'hommes. Ava, symbole de lutte pour la survie, un avenir.
« le Juste tombe sept fois, et il se relève, disait le grand roi Salomon (…) il n'y aura pas d'oubli ».

Berlin assiégé – le Konzerthaus « l'un des joyaux de la ville, splendeur néo-classique, foyer de l'âme de Strauss et du divin Schubert », le philarmonique donne son ultime « Crépuscule des Dieux » de Wagner achevé sous les bombardements et les dernières mesures mourantes, celles d'un prélude de la défaite ; Magda Goebbels accompagnée d'officiers, et de nombreux dignitaires nazis y assistent, vaincus, capsule de cyanure en poche.
Le "Crépuscule des Dieux" clôt en effet la longue histoire d'apocalypse où s'enchaînent évènements tragiques et machinations diaboliques, vers l'implacable fin d'un monde, annoncée dès le début de la Tétralogie.

« L'officier la salue et se dépêche de finir de perdre la guerre ». C'est le Crépuscule des Dieux avant que naisse l'aurore d'un nouveau cycle de vie.

Et Magda se souvient de sa jeunesse, elle s'enfonce dans des abîmes de souvenirs pleins d'antagonisme, hantée par les secrets. C'était il y a une dizaine d'années.
Magda est happée par les discours endiablés d'un certain Goebbels, enragé, qui visent les juifs et les communistes, qu'il accuse d'être responsables des malheurs de l'Allemagne et pourquoi pas de tous les maux de la terre également.
Son ambition sans borne la guidera. Sa soif de pouvoir dominera.
Pour accéder à la gloire, elle gravira des marches jonchées de cadavres sacrifiés qu'elle aura écrasés.

Dans le bunker, ni crépuscule ni aube, « les zombies du bunker vivent en marge du monde ».
Cette « Médée moderne » fidèle au Führer jusque dans la mort, fera le sacrifice ultime après avoir empoisonné ses six enfants.
Sa fille lui demandant « mais toi, alors, c'est qui ton Christ ?
C'est le Reich ma chérie. le Reich a fait de nous des reines, des princes et des princesses ».

Chronique de la débâcle. IIIème Reich agonisant et démembré.
Les dernières heures de la chute du régime nazi.

Pan d'Histoire, tranches d'histoires, celles d'une femme forte et sans scrupule, « première dame du Reich » épouse du « maître à penser du Maître » ; du fanatisme d'une idéologie opium du peuple ; des souffrances à l'origine du mal et de ses terribles conséquences.
« L'esprit du Mal existe, ma fille. Il est entré dans ce camp (…) Des loups pour l'homme, comme dans le Leviathan ».

Scènes difficiles relatant l'horreur, la déshumanisation qui fit rage.
La mort qui plane, partout.
Âmes errantes et âmes damnées.

J'ai apprécié ce roman richement documenté d'un auteur que je découvre dans son premier roman fruit de recherches remarquables.
Des phrases puissantes, choquantes, et très réalistes.

"Elle vivait dans l'orage et les querelles,
Son âme avait un tel désir
De ce que la fière mort peut apporter
Qu'elle ne pouvait supporter
Le bien commun de la vie,
Mais elle vivait telle un roi
Emplissant le jour de ses noces
D'étendards et de flammes,
De trompettes et de timbales,
Et du canon impétueux
Pour congédier le temps
Et que vienne la nuit."
« QUE VIENNE LA NUIT » – W.B YEATS
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Les orgues de Staline bombardent Berlin, dans le bunker sont terrés les derniers représentants du Reich, les membres du dernier cercle, des tableaux de maîtres sont accrochés au mur de béton. Magda assiste à la dernière représentation du philharmonique, Speer distribue des capsules de poison pour eux et pour leurs proches, au cas où…

Magda est une fille naturelle élevée par des sœurs dans un pensionnat en Belgique, une petite fille qui chaque soir jure qu’elle portera des belles robes, que son mari fera la pluie et le beau temps. Trentenaire divorcée, pleine d’allant et sans contrainte, dans un meeting elle assiste à un discours enflammé de Goebbels, elle est tombe amoureuse, non pas de l’homme mais de ce qu’il incarne, devenir la première dame du Reich. Goebbels un nain à la gueule de rat qui traîne sa patte folle dans les coulisses des théâtres, dans les studios de cinéma en quête de proies pour assouvir ses vices sexuels.

Ils sont des dizaines de milliers lancés sur les routes de l’Europe, cohortes de guenilles maculées, comme eux, Aimé avance un rouleau de cuir caché dans la doublure de sa veste, il contient des lettres enroulées mémoire des camps, témoin de leurs vies effacées, des mots écrits par des dizaines de mains.

Sébastien Spitzer nous fait vivre l’intimité des dernières heures d’Hitler enfermé dans son bunker à travers le portrait d’une femme ambitieuse, mariée à Goebbels, l’âme damnée d’Hitler. Toute la famille Goebbels sert la propagande nazie et donne l’image parfaite d’un ménage modèle, avec Hitler comme bon oncle. Elle n’hésitera pas à accomplir l’impensable, empoisonner ses six enfants.

Avec une écriture réaliste et épurée il alterne la fin du Reich avec la lutte pour la survie des passeurs d’Histoire, dépositaire de la mémoire de l’horreur des camps de concentration. L’auteur dans une Postface éclaire parfaitement son récit entre fiction et réalité. Un premier roman tout à fait remarquable.

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"Ces rêves qu'on piétine" est basé sur des faits réels à la fin de la Seconde Guerre Mondiale et décrit deux parcours : celui d'Ava avec sa mère réchappée des camps de concentration et celui de Magda Goebbels dans son bunker avec Hitler. Bien sûr, ces itinérances tressées auront un point de rencontre.

On ressent le travail d'historien dans cette oeuvre mais aussi la fiction comme une valse à deux temps. D'ailleurs, dans une postface, Sébastien Spitzer explique :"J'ai valsé avec les faits, dans une danse à deux, collés, main dans la main. Flirter du mieux possible avec le vraisemblable pour imaginer le reste, tout ce que L Histoire néglige..." Dans ce premier roman, on découvre donc une autre Histoire, celle qu'un livre décide de rendre vivante, en incarnant des femmes et des hommes qui l'ont faite.

Le style est un peu déconcertant au début, avec ses mystères et ses secrets et c'est pour moi un bon signe de ne pas savoir où l'auteur veut nous emmener (je n'avais pas lu de critiques au préalable!). J'ai été ensuite pris dans les phares d'une écriture riche, au rythme saccadé, qui fonctionne de manière hypnotique.
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Débutant avec Aimé, puis Judah, Fela, Ava ensuite, dans une de ces marches de la mort qui ont suivi l'évacuation des camps de concentration par les nazis puis s'attachant à la vie de Magda, Mme Goebbels, qui vit les dernières heures du Reich dans Berlin assiégée, Ces rêves qu'on piétine m'a captivé, de la première à la dernière ligne. de plus, une postface très instructive répond à toutes les questions que je me suis posées sur la véracité des faits racontés dans ce livre.

Sébastien Spitzer, avec des phrases courtes, précises, percutantes, souvent sans verbe, colle au rythme de ses histoires parallèles, dès le début du livre. Il rappelle certes des épisodes déjà explorés dans d'autres livres ou films mais cela est rendu avec tellement de précision, de réalisme et une grande intimité avec ses personnages, que ce livre s'annonce comme une véritable sensation de la rentrée littéraire.
Tenter de comprendre cette folie meurtrière qui a embrasé le XXe siècle n'est pas chose aisée mais l'auteur a eu le courage immense, pour son premier roman, de se plonger dans les archives, dans les livres déjà publiés pour nous faire vivre les derniers moments des pires criminels que le monde ait connu. Leur passé, leur ascension, leurs bassesses, leur volonté d'extermination, rien n'est négligé.
En parallèle, Sébastien Spitzer montre toute l'horreur des camps que les nazis tentent d'effacer : « Après ces mois de détention, réduit à la plus simple expression de lui-même, il (Aimé) trouve la force de marcher encore, malgré ses semelle en loques… » Aimé ajoute : « Je souffre donc je suis. » Dans cette grange de Gardelegen où ces survivants sont enfermés, l'atrocité atteint son comble si cela était encore possible.
Avec l'histoire de Fela, l'auteur rappelle toutes ces grossesses imposées dans les camps, tous ces enfants sacrifiés et ces mères brisées. Il rend hommage à Stanislava Leszczynska, cette sage-femme incarcérée à Auschwitz qui a tout fait pour tenter de sauver quelques nouveau-nés de l'euthanasie. de plus, il n'évacue pas le comportement de certains prisonniers qui n'hésitaient pas à se mettre au service des nazis, faisant même du zèle.
Pendant ce temps, Magda vit les dernières heures du bunker alors que les troupes russes envahissent Berlin. Les principaux épisodes de sa vie défilent sans occulter ses moments de faiblesse bien cachés au peuple aveuglé par la folie du parti national-socialiste.
Richard Friedländer, son père « adoptif », est prisonnier mais elle l'a évacué de ses pensées comme Haïm Viktor Arlozoroff, son grand amour, héros du sionisme, assassiné en 1933 à Tel-Aviv. Les lettres de Friedländer, créées par l'auteur, décrivent la vie d'un Juif à Berlin dans les années 1930 et la réalité des camps, cette souffrance immense, dépassant bien le pouvoir de chaque mot et l'incompréhension de chacun.

Il faut lire Ces rêves qu'on piétine pour ne pas oublier, pour tenter de comprendre l'inimaginable et vivre ces heures de libération tant espérées et tellement incroyables alors que tant d'enfants, de femmes et d'hommes sont morts. Lee Meyer, la photographe de guerre, inspirée de Lee Miller, Gary, au volant de sa jeep, et Ava sont là pour témoigner, lutter contre l'oubli de tant de vies détruites.




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