Du fond d’un millier de siècles, ils tiraient l’antique admiration du piéton pour le cavalier. Ils savaient par instinct qu’un homme à cheval est, spirituellement aussi bien que physiquement, plus grand qu’un homme à pied.
Jody allait souvent errer vers la lisière de la brousse, derrière la maison. Un tuyau de fer rouillé déversait un mince filet d'eau de source dans un vieux baquet verdi. Là où le tuyau qui débordait s'infiltrait dans le sol il y avait un coin d'herbe perpétuellement verte. Même quand les collines étaient brunies et rôties par le soleil, ce petit coin était vert. L'eau murmurait doucement en coulant dans l'abreuvoir tout le long de l'année. Cet endroit était devenu un centre pour Jody. Quand il avait été puni, l'herbe verte et fraîche et le chant de l'eau le consolaient. Quand il avait été méchant, l'acide mordant de la méchanceté l'abandonnait à la lisière de la brousse. Quand il était assis dans l'herbe et qu'il écoutait le gazouillement de la source, les barrières dressées dans son esprit par la rigueur de la journée tombaient en ruine.
Par contre, le cyprès noir à côté de la baraque était aussi répulsif que le baquet d'eau était attirant; car sous cet arbre, tous les cochons venaient tôt ou tard se faire égorger. L'abattage d'un porc était une chose fascinante, avec les hurlements et le sang, mais cela faisait battre le coeur de Jody si vite qu'il lui faisait mal. Une fois que le cochon avait été échaudé dans le grand chaudron de fer à trois pieds et que sa peau était grattée et blanche, il fallait que Jody aille s'asseoir dans l'herbe près du baquet d'eau en attendant que son coeur se calme. Le baquet d'eau et le cyprès noir étaient deux contraires et deux ennemis.
Six gamins arrivèrent par la colline l'après midi, en avance d'une demi-heure, courant fort, la tête baissée , besognant des avant-bras, la respiration sifflante. Ils passèrent en coup de vent près de la maison et coupèrent à travers le champ de chaume vers la grange. Et là, ils restèrent plantés gauchement devant le poney, puis regardèrent Jody avec des yeux où perçaient une nouvelle admiration et un nouveau respect. Jusqu'à ce jour, Jody avait été un petit garçon habillé d'une salopette et d'un chemise bleue...., plus calme que la plupart des autres, soupçonné même d'être un peu couard. Et maintenant, il n'était plus le même. Du fonds d'un millier de siècles, ils tiraient l'antique admiration du piéton pour le cavalier. Ils savaient par instinct qu'un homme à cheval est, spirituellement aussi bien que physiquement, plus grand qu'un homme à pied. Ils savaient que Jody avait été miraculeusement soulevé hors de toute égalité avec eux et avait été placé au dessus d'eux. Gabilan sortit la tête de son box et les flaira.
-Pourquoi tu ne montes pas dessus ? criaient les enfants. Pourquoi tu n'as pas tressé des rubans dans sa queue comme à la foire? Quand qu' c'est que tu monteras dessus?
Jody ne se sentait plus d'orgueil. Il éprouvait lui aussi la supériorité du cavalier.
- Il n'est pas assez vieux. Personne ne pourra le monter avant longtemps. Je vais l'entraîner à la longe. Billy Buck me montrera comment il faut faire. (P24 -25)
Le poney rouge dans le mauvais temps
Qu'il avait du courage.
C'était un petit poney rouge
Tous derrière, tous derrière.
C'était un petit poney rouge
Tous derrière et lui devant.
Mais un jour, dans un mauvais temps,
Un jour qu'il était si sage
Il est mort dans un éclair blanc.
Jody découvre violemment que ses attentes peuvent avoir des conséquences douloureuses. Les illustrations viennent creuser lourdement le propos. Parfois, j'aimerais bien qu'on ne me fasse pas un dessin... Pour soigner une dépression, ce n'est sûrement pas le livre qu'on lira en priorité !
Pour ma part, j'y ai été amenée par mon défi lecture numéro 38: un livre avec un cheval sur la couverture.
Jody perçut la délicieuse odeur d'eau-de-vie de leur haleine. Il se réjouit intérieurement car son père lui parlait quelquefois quand il sentait l'eau-de-vie, quelquefois même il racontait ce qu'il avait fait à l'époque sauvage où il était enfant. (p.16)