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Critique de DianaAuzou


LES PLUS BEAUX TEXTES DE L'HISTOIRE DE L'ART, choisis et commentés par Pierre Sterckx, 2009 TTM Editions Paris*****

Un livre que j'ai toujours voulu relire et que je relis grâce à jvermeer, Alain amoureux de la peinture qui partage avec nous quelques uns des plus beaux textes de l'histoire de l'art.
Pour le remercier je continue ce partage avec d'autres textes du même livre qui m'ont émerveillée et éclairée sur les regards infinis qu'on peut avoir sur les oeuvres et sur la rencontre heureuse profonde et complexe qui n'arrête pas de nous surprendre entre la peinture la sculpture la littérature.
Dans l'embarras du choix j'ai fait quand même une sélection de textes en m'arrêtant sur quelques artistes qui me bouleversent depuis toujours, que j'aime énormément et sur les écrivains que j'aime autant. Choix difficile, jamais exhaustif.

Jean Genet et Alberto Giacometti
« Il n'est pas à la beauté d'autre origine que la blessure, singulière, différente pour chacun, cachée ou visible, que tout homme garde en soi, qu'il préserve et où il se retire quand il veut quitter le monde pour une solitude temporaire mais profonde. Il y a donc loin de cet art à ce qu'on nomme le misérabilisme. L'art de Giacometti me semble vouloir découvrir cette blessure secrète de tout être et même de toute chose, afin qu'elle les illumine. »

Paul Claudel et la Dentellière de Johannes Vermeer
« Parmi ces maîtres… il est quelqu'un, je ne dirai pas de plus grand, car la grandeur n'a rien à faire ici, mais de plus parfait, de plus rare et de plus exquis… son nom : Vermeer de Delft… Ce qui me fascine c'est ce regard pur, dépouillé, stérilisé, rincé de toute matière, d'une candeur en quelque sorte mathématique ou angélique ou disons simplement photographique, mais quelle photographie ! en qui ce peintre, reclus à l'intérieur de sa lentille capte le monde extérieur. On ne peut comparer le résultat qu'aux délicates merveilles de la chambre noire… de ces figures dessinées par un crayon plus sûr et plus acéré que celui de Holbein, je veux dire le rayon de soleil.  La toile oppose à son trait une espèce d'argent intellectuel, une rétine-fée.»

René Char et le Prisonnier de Georges de la Tour
« La reproduction en couleur du Prisonnier de Georges de la Tour que j'ai piquée sur le mur de chaux de la pièce où je travaille, semble, avec le temps, réfléchir son sens dans notre condition. Elle serre le coeur mais combien désaltère !… La femme explique, l'emmuré écoute. Les mots qui tombent… portent immédiatement secours… le Verbe de la femme donne naissance à l'inespéré mieux que n'importe quelle aurore… Reconnaissance à George de la Tour qui maîtrisa les ténèbres hitlériennes avec un dialogue d'êtres humains. »
Ce puissant hommage à la fois poétique et politique à George de la Tour se trouve dans les feuillets d'Hypnos, n°178. Pour mémoire, René Char a écrit les Feuillets entre 1943-1944, dont un s'appelle « Résister ». L'art peut toucher des profondeurs devant lesquelles les paroles se trouvent souvent impuissantes.

Jacques Attali et le Combat de Carnaval et de Carême de Pieter Bruegel
« dans cet affrontement symbolique entre la misère joyeuse et la puissance austère, entre le malheur détourné en fête et la richesse maquillée en pénitence, pour la première fois peut-être dans l'art occidental, Bruegel ne nous donne pas seulement à voir, mais à entendre le monde… la Fête pour rendre à tous leur malheur tolérable… l'Austérité, pour faire supporter, par la promesse de l'éternité, l'aliénation du quotidien : le Bouc émissaire et la Pénitence. le Bruit et le Silence… La pauvreté est dans les deux camps : d'un côté soumise, de l'autre transgressante. D'un côté chaude, lumineuse et solidaire. D'un autre froide, obscure et solitaire. »

Rainer Maria Rilke et la Porte de l'Enfer d'Auguste Rodin
« L'artiste est celui à qui il revient, à partir de nombreuses choses, d'en faire une seule et, à partir de la moindre partie d'une seule chose, de faire un monde… Or Rodin sachant… que le corps n'est tout entier composé que de théâtres où se joue la vie,… a le pouvoir de conférer à n'importe quelle portion de cette vaste surface vibrante l'autonomie et la plénitude d'un tout. de même que pour lui le corps humain n'est un tout que pour autant qu'une action humaine (interne ou externe) mobilise tous ses membres et toutes ses énergies… Une main qui se pose sur l'épaule ou la cuisse d'autrui ne fait déjà plus tout à fait partie du corps dont elle est venue ; avec l'objet qu'elle effleure ou empoigne elle forme une nouvelle chose… Cette découverte est le fondement du groupement des personnages chez Rodin ; c'est d'elle que résulte la façon inouïe dont les figures sont liées les unes aux autres, la cohésion des formes et leur manière de ne pas se lâcher, à aucun prix. »

Emile Zola et le Joueur de fifre d'Édouard Manet
« Je ne crois pas qu'il soit possible d'obtenir un effet plus puissant avec des moyens moins compliqués. le tempérament de M. Manet est un tempérament sec, emportant le morceau. Il arrête vivement les figures, il ne recule pas devant les brusqueries de la nature… Tout son être le porte à voir par taches, par morceaux simples et énergiques. On peut dire de lui qu'il se contente de chercher des tons justes et de les juxtaposer ensuite sur une toile…. Je retrouve dans le tableau un homme qui a la curiosité du vrai et qui tire de lui un monde vivant d'une vie particulière et puissante. Vous savez quel effet produisent les toiles de M. Manet au Salon. Elles crèvent le mur, tout simplement. Tout autour d'elles s'étalent les douceurs des confiseurs artistiques à la mode… Regardez les toiles de M. Manet : vous verrez que là est la vérité et la puissance… Il y a une vérité éternelle qui me soutient en critique : c'est que les tempéraments seuls vivent et dominent les âges. Il est impossible, - impossible, entendez-vous,- que M. Manet n'ait pas son jour de triomphe, et qu'il n'écrase pas les médiocrités timides qui l'entourent. »
Immense éloge, défense courageuse pleine de fougue d'un ami, d'un connaisseur, d'un grand écrivain. le Temps ne pouvait que rendre justice et lui donner raison.

Riche choix d'images et de textes critiques dans le travail de Pierre Sterckx, « un livre-promenade », comme il l'appelle, somptueux, plein de belles surprises, rencontres mémorables entre artistes et écrivains dont les chroniques éclairées, savantes, poétiques, émouvantes par la passion investie révèlent des points de vue, des ressentis des grands hommes, des créateurs qui ont traversé les siècles et qui se sont arrêtés éblouis devant d'autres créateurs et leurs oeuvres, un moment où le temps se fige et laisse l'émotion s'éclore et respirer à pleins poumons.

Pour conclure je cite une phrase de Pierre Starckx dans l'Avant-propos que je trouve gorgée de sens, une invitation à accepter sur le champ sans le moindre délai : « Serge Daney disait qu'un critique de cinéma ou d'art est un 'passeur'. Sur une rive du torrent, précisait-il, il y a les oeuvres, les artistes, et sur l'autre le public. On est prié d'aller des uns aux autres, de faire passer la perception la plus juste au-dessus des turbulences de l'incompréhension. Gageons que tous les textes ici réunis seront de bonnes pierres pour un tel passage à gué. »

p.s. Même si le cinéma est un art, le 7e, les spécialistes font une différence entre le critique de cinéma et le critique d'art.
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