Rouge indélébile

Seulement, là, les choses ne se sont pas tout à fait passées comme je l’espérais. Il faut croire que mon âge était inscrit sur ma figure, car tous les gens me regardaient avec méfiance quand je demandais du travail. J’ai fini par ne plus oser en chercher, de peur d’être reprise et réexpédiée là-bas. Pendant près d’une semaine, j’ai couché sous les ponts, sans rien avoir à manger. J’ai dû me mettre à voler.

J’ai besoin de connaître une forme de jouissance que je ne pourrais jamais me procurer, quand bien même je coucherais avec tous les hommes de la terre. Ce qu’il me faut, vois-tu, c’est savourer le goût du sang, de la violence, du vol, du pillage, de l’argent dépensé aussi vite qu’on l’a pris.

Etranges créatures que les femmes ! La dernière fois qu’ils s’étaient vus, quoiqu’il eût été assez bête pour ne pas profiter de l’occasion, elle avait accepté presque d’emblée la perspective de coucher avec lui. Et, maintenant, elle prenait des airs effarouchés !

Certes, elle n’a pas été exceptionnellement jolie entre quinze et vingt ans, mais aujourd’hui, on la jugerait plutôt laide, ou, du moins, fanée et ordinaire. Comme tant de femmes de son milieu, qui se sont mariées très jeunes, elle a enduré plus que sa part de responsabilités et d’éreintantes corvées. Maintenant que la situation du ménage s’est améliorée et qu’elle a moins besoin de se sacrifier que par le passé, elle semble incapable de s’adapter au nouvel état de choses.

Plus tôt il s’y mettrait, mieux cela vaudrait. Il savait bien que les nerfs humains n’ont qu’une capacité de résistance limitée et il voulait en finir, avant de les voir flancher. Il ne comptait pas achever en une nuit tout ce qu’il avait à faire, mais, à condition de ne pas perdre la tête, il espérait bien en avoir terminé en trois jours.