Beckomberga : un nom qui résonne comme une oscillation, comme un ressac. Un va-et-vient permanent, inéluctable, entre la vie et la mort.
Beckomberga, institution ouverte au début des années 1930, à proximité de Stockholm, pour accueillir "la folie". "Folie", un mot et une définition qui auront bien le temps de changer et d'évoluer jusqu'à sa fermeture en 1995.
La vie c'est Jackie, enfant puis adolescente, qui vient voir son père aussi souvent qu'elle le peut, parce qu'elle est persuadée d'être son lien à la vie, si elle vient, si elle le voit seulement, davantage si elle lui parle et peut se promener avec lui, il restera du côté du souffle ténu de l'existence.
La mort, c'est la tentation qui fascine Jim, le père de Jackie, il l'espère, la provoque, la talonne, la désire comme une délivrance d'une vie dans laquelle il n'est plus rien, ne possède que très peu et estime n'avoir personne, pour quitter ce vide qui s'est insinué en lui.
Ceux qui souffrent sont toujours seuls, indifférents à l'amour qu'on leur porte, indifférents à la souffrance qu'ils provoquent en rejetant toute aide, enfermés dans une cage dont ils ont perdu la clef depuis bien longtemps.
Entre les deux extrémités, il existe des palliatifs à la souffrance : au milieu des vapeurs des alcools, au creux des bras des substances médicamenteuses, des moments de vie "encotonnée", assourdie qui font pour un temps tolérer la douleur, le manque d'amour, la solitude, l'impossibilité de résoudre une quête de tous les instants, de répondre aux questions qui taraudent.
Il y a aussi la fuite, toujours parce qu'ailleurs est autre, ailleurs est peut-être délivrance, absolu...
Les internés ont mille visages, milles tourments, mille quêtes inabouties, mais
Beckomberga devient leur maison, la tranquillité qui les apaise un instant, la protection contre le monde extérieur si hostile...
"Comment c'est, dehors, de nos jours ?" demande Olof le dernier patient à quitter Berckomberga et aussi celui qui y est resté durant les soixante-trois ans pendant lesquels l'établissement a été un lieu d'accueil.
Dans ce récit, tous les sentiments, toutes les luttes, toutes les sensations se reflètent dans la végétation qui entoure les bâtiments, dans l'aspect des arbres surtout, tantôt refuges et protecteurs, kaléidoscopes de la lumière qu'ils diffractent pour adoucir l'écoulement du temps, tantôt complices pour quitter cette vie sans issue, tantôt feuillus et chatoyants comme des sourires distribués de façon désintéressée, tantôt squelettes de bois noirs à l'automne ou blanchis par la neige comme autant de cris fossilisés sortant de la bouche des pensionnaires.
La construction du récit est captivante, qui nous emmène, au gré des souvenirs, dans les recoins de la pensée sans écouter la chronologie. Découvrir ce lieu, ce qu'il a représenté d'espoirs pour ceux qu'auparavant on cachait, enfermait dans des cages loin des regards avant qu'ils ne soient pris en charge, juste considérés, est passionnant au rythme d'une narration originale et qui bouscule. le regard sur ceux-là, niés ou laissés en marge parce que trop inaccessibles pour les esprits rationnels. Percevoir, au fil des phrases, ce cri de tendresse d'une fille pour son père…Et l'aboutissement, qui s'avère être dans le regard de l'enfant qui emmène toujours plus loin et ne considère pas la différence…
Et surtout, l'écriture, le style de l'écrivaine, son regard poétique, imagé, qui se pose sur ces êtres et sur toutes ces années, une façon de dire et de faire ressentir, une émotion tissée avec les mots. Des mots qui créent une atmosphère entre rêve, imaginaire et hallucination, baignée de mélancolie.
Une fabuleuse découverte que je dois à une amie babéliote – qui se reconnaîtra ! - qui m'a proposé la découverte de
Sara Stridsberg, persuadée que la plume me séduirait : elle avait grandement raison et je la remercie infiniment de cette lecture qui a su allumer dans mes pensées un brasier d'émotions !