Blanche étincelle au creux de mes nuits. Blanche étincelle dans mon sommeil. Le plus souvent, au milieu d’un rêve, elle apparaît. Quelque fois, cela me réveille et les yeux encore fermés, je la regarde s’évanouir. C’est ainsi, ce matin, avant l’aube
J'entends un grattement du côté de la salle de bains. Je me tourne vers la gauche. Un rai de lumière marque l'encadrement de la porte. Je suis sûre d'avoir éteint. La lueur vacille. Je me redresse dans le lit et fixe la porte. Effarée, je la vois s'entre- bâiller. La lumière augmente, tremblote davantage. Le visage de Blanche se révèle. Longues boucles blondes. Elle ouvre complètement, s'arrête, regarde dans ma direction. En chemise de nuit, un chandelier dans la main droite. Cinq bougies allumées. Je voudrais lui demander ce qu'elle fait là. Ma bouche refuse de s'ouvrir. Ma langue est collée à mon palais comme un énorme tampon buvard. Je saisis machinalement mes lunettes sur la table de nuit.
Le chat m'attendait à la porte du couloir. Il miaule rarement, mais il a l'oreille fine. Il suit une routine différente de la mienne. Dès que je lui ouvre, il se dirige vers son bol. Il mange puis s'installe sur le canapé et s'endort. C'est un travailleur de nuit.
Depuis hier, j'ai l'impression que mon coefficient de gravité a évolué. Comme si j'étais sur la pointe des pieds. Je me suis rapprochée des étoiles. Et en même temps, en esprit, collée à la terre. Sensation agréable. La vérité m'a libérée.
Les gens disparaissent. Les objets aussi. Bretelles. Bouteilles d'encre. Échelles en bois. Ballots de paille. Pierres à aiguiser. Transistors. Pellicules photo..
Blanche n'est pas une demoiselle, mais elle surgit dans ma vie au moment où la nuit commence à reculer. Quelques secondes chaque jour, quelques oscillations du balancier.
Trajectoire noire et jaune d'un merle sautillant dans les feuilles mortes, puis éclat rouille et beige d'un rouge-gorge. Je m'interromps dans mes réflexions, laissant mon regard errer sur le jardin à travers la vitre. J'ai pris l'habitude de la solitude, pas de l'isolement
Je me tais, Blanche se rapproche de moi, reprends mon bras et le serre. Elle raconte sa journée d’hier en Belgique avec les enfants et son mari. Très bien, très agréable, Marc attentionné, gentil et drôle. Elle l’a conduit ce matin à la gare, parti pour trois semaines. Pas toujours facile, l’éloignement, d’autant que son amie Charline, collègue musicienne, a obtenu un poste au conservatoire de Strasbourg. Elle est là-bas depuis septembre.
Une trouée dans la haie d’aubépines bordant le chemin nous permet de contempler au loin un groupe de quatre biches et un chevreuil dans les champs à l’orée de la forêt. En continuant, nous découvrons enfin un des étangs qui donne son nom à la promenade. En fait, une simple mare entourée de saules têtard. Une fine pellicule de glace la recouvre. Blanche y pense la première ; la mare nous évoque la fin silencieuse du roman de Tarjei Vesaas. Nous parlons de Mathis, le passeur, qui déchiffre le langage des bécasses, s’invente des amours et vit dans une forêt de symboles avec sa logique personnelle.
Tellement de choses à dire, à échanger, éléments du passé, mais aussi de la vie présente, et pour la première fois pour moi, depuis longtemps, vision d’avenir.
Retour à la maison autour d’une boisson chaude nous adoptons d’un commun accord le tutoiement. Blanche m’apprend qu’elle chante de temps à autres dans les cérémonies de mariage. Oum Kalsoum ! Si je le souhaite je pourrais l’entendre ce samedi après-midi à la collégiale d’Aire-sur-la Lys.
Le soir, au fond de mon lit, je murmure dans ma tête, je mêle les images et les sons. Les biches s’enfoncent dans le sous-bois. Une rose des sables scintille sur la table de nuit. Blanche patine sur la glace sous la lune, virevolte en souriant. Je m’endors.
Avatar saute sur mes genoux. Je lui pose une main sur la tête, le gratte doucement entre les oreilles. Il ronronne. Son petit cœur de chat bat vite mais il est en paix. Pas de sentiment. Pas de mauvaise conscience.
Levée à 6 h 30. Ciel dégagé.
Avatar a déposé une souris morte
Sur la grille du gratte-pieds devant la porte.
Un dimanche qui débute en poésie, alexandrins naturels.
Avatar nous a suivis, il joue au félin, se dissimulant et bondissant soudain parmi les touffes de vivaces sur les bas-côtés du jardin potager.