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Citations sur L'arbre blessé (6)

Chez Troisième Oncle tout est collectionné, retenu et classé, dans une tradition de transmission verbal et écrite, avec un soin pointilleux et érudit. Troisième Oncle est le conteur d’histoires, le barde de la Famille, le récitant des sagas ancestrales, le ressusciteur de cadavres qui les fait revivre en paroles. Mais il est aussi le conservateur précis de lettres dûment étiquetées, de photographies et de fiches. Il est en proie à une véritable frénésie de connaissances exactes sur tous les sujets, et possède une surprenante mémoire. (…) Ce désir de comprendre l’avait conduit à comprendre la Révolution mieux sans doute que ne l’avait fait mon père : lui, le capitaliste, le banquier, non seulement acceptait l’inévitabilité des événements, mais il était convaincu qu’aucune autre réponse n’était possible. « C’est parce que je suis économiste. Ton père a toujours été poète et les mouvements de son cœur sont hauts et nobles. » Les mouvements de l’esprit du Troisième Oncle sont concrets et presque trop consciencieux. Aborder un sujet avec lui, c’est connaître ce sujet depuis sa naissance, même si elle se place à l’époque paléolithique, jusqu'aux temps présents.

Combien ce nourrissant, bénéfique Grand Fleuve de mots, interrogeant, pesant, philosophant, cherchant à connaître, répandait de consolation et comme il contribua à guérir les très profondes blessures faites à ma sensibilité par le silence taciturne de mon père, Troisième Oncle ne le saura jamais. Et quand, à la fin, il me donna toutes les lettres qu’en quarante ans il avait reçues de mon père, par ce geste éloquent et final, il acceptait l’idée que nous ne nous reverrions peut-être plus, car il avait soixante-seize ans et ne voulait pas quitter ce monde en laissant une tâche inachevée. Je continuerais l’enquête, oralement, et garderais ainsi en vie l’Histoire de notre époque, fût-elle restreinte à une seule famille, la nôtre. Et cela était bien : c’est la seule immortalité tangible que l’homme puisse réaliser, un prolongement de notre existence terrestre, accompli par un acte, une pensée, un dessein profitables à tous. Une continuité.

319 - [Le Livre de Poche n° 3307, p. 110-111]
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La vie d'un homme commence par ses ancêtres et se continue en ses descendants. La vie de mon père, et après celle de mon père ma propre vie commence avec la Famille. Pour décrire la Famille, il faut que je remonte dans le passé...

122 – [Le Livre de poche n° 3307, p. 27]
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Pour un vieil homme, il n'est pas de nouvelles émotions; les émotions du souvenir sont ses trésors et s'il peut les ressentir encore comme jadis, si elles ne se sont pas réduites en poussière avec les années, alors il est vraiment très favorisé.
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(...) cette acceptation tacite de la tyrannie est le rempart le plus sûr de la tyrannie, et que l'apathie, la crainte et l'indifférence sont les véritables meurtriers des libertés de l'homme.
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... il venait de me tendre cette lettre surgie du passé. C'était la seule. Fils du Printemps lui-même avait brûlé toutes les lettres de sa mère, toutes sauf celle-là.
« Tu comprends, je n'ai jamais songé que tu en aurais besoin, toi, un jour... »
Il y en avait une pleine malle. Une malle entière, Fils du Printemps en mimait les dimensions du geste, au-dessus des tasses à café.
(...)
En m'asseyant sur la banquette dégoûtante, je ressentais de l'irritation, de la compassion, l'une et l'autre en pure perte, envers mon frère, Fils du Printemps. Avoir brûlé toutes ces lettres, les lettres de ma mère, dont j'avais tant besoin ! Des lettres qui couvraient toute sa vie en Chine, de 1913 à dieu sait quand, du moins jusqu'à ce que son père à qui elle les adressait mourût en 1940. Pendant combien de temps Maman avait-elle envoyé ces interminables épîtres d'abord à ses parents puis, après la mort de sa mère, à son père seul ? Les tous premiers souvenirs que j'aie gardés de ma mère au moment où j'eus conscience de sa réalité en dehors de moi-même, me la montrent assise devant la table, penchée vers les papiers qu'elle feuillette et dont j'entends le froissement. C'est alors que je lui demandai : « Maman, Maman, qu'est-ce qu'écrire ? Comment la personne qui reçoit la lettre sait-elle ce que tu veux dire ? » et que je reçus la réponse habituelle : « Laisse-moi tranquille. Tu le sauras quand tu seras plus grande... »

Mon frère avait brûlé toutes ses lettres et dans la famille (car j'allai les voir tous, à Anvers, à Bruxelles et à Louvain, et ils me firent don de leurs souvenirs, de leurs propres impressions personnelles, mais pas de lettres) personne d'autre n'en avait. Quel homme stupide, quel pauvre garçon stupide ! L'enfant battu rendant les coups... Mais il avait toujours été ainsi, se séparant brutalement et définitivement de tout ce qui le fait souffrir, essayant de s'évader.

123 – [Le Livre de poche n° 3307, p. 20-21]
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(A partir de 1895) La Russie annexa la Mandchourie et la Mongolie, où elle construisit des chemins de fer pour transporter ses troupes en Chine. La France rassembla de nouveau ses armées en vue d'envahir le Yunnan. L'Amérique élabora le projet de la porte ouverte, qui signifiait que nulle marchandise d'aucun pays ne serait taxée plus que les marchandises d'un autre pays, à son importation en Chine. Le Japon commença à se préparer à une autre guerre. Soucieux de n'être pas surpassé, le kaiser Guillaume II donna publiquement à la Chine le nom de « péril jaune » ; et quand elle fut à bout de forces, il se proclama théâtralement à grand son de trompes, chef de la chrétienté et de la race blanche, partit en croisade contre les jaunes et les hommes de couleur, et s'empara de la province de Chantoung ; tout cela parce qu'il n'avait pas réussi à écarteler l'Afrique, et voulait participer au pillage de la Chine. Qui eût cru que le petit homme au bras desséché, à présent oublié aurait laissé au monde cette expression en signe de sa démence ? Peut-être parce que sa voix fut l'une des premières à exposer le mythe Aryens et de la supériorité de la minorité blanche, qui trouve encore des adeptes à notre époque.

121 – [Le Livre de poche n° 3307, p. 118-119]
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