Ils ne veulent pas de moi. Très bien, je n’insiste pas. C’est exactement ça. Je suis incapable d’insister.
Toute sa vie, elle garda dans son attitude une force particulière, une vigueur, une virulence, qui la différenciait de toutes les autres femmes.
Tu ne peux rien tenir dans ta main et te persuader que tu l’as pour toujours. Cela fuira inévitablement, s’évaporera, coulera. Tu ouvres ta main et tu n’y trouves plus rien, rien.
Soudain elle a trente ans de plus que toutes les filles de sa classe, soudain elle est une vieille qui a tout vu.
Que fait un miroir quand personne ne s’y regarde ? Peut-être aspire-t-il à la liberté, à l’indépendance ? Peut-être, quelquefois a-t-il envie de se briser ? S’est-il lassé de moi depuis que je m’y regarde ?
Elle est devant moi comme un miroir. Je me regarde en elle. Par moments je m’y reconnais. A d’autres ce n’est pas moi. Elle est plus jeune et pourtant plus âgée, elle pourrait être ma fille, mais elle vient d’un monde que je croyais oublié, perdu, et que je retrouve en elle. Un monde revenu de loin et à coup sûr réinventé.
Quand on me dit de laisser tomber, je laisse tomber, voilà, et je continue mon chemin. Ils ne veulent pas de moi. Très bien, je n'insiste pas. C'est exactement ça. Je suis incapable d'insister.
Il est infidèle et fragile comme tous les miroirs du monde. Il me livre des révélations qui me font rire et qui me font mal. Il me ment aussi, je le sais, mais je ne peux pas dire quand ni pourquoi.
Nos écrivains vendent aujourd'hui des pizzas. Nos Hemingway vendent des pizzas. Les comédiens ont faim. Les atistes se traînent dans la misère. Ils se sont battus, comme des soldats, pour leurs projets, ils ont franchi mille obstacles - les ministères, cinquième étage, deuxième sous-sol - , ils ont veillé comme une mère - "Ne touchez pas à mon enfant !" - sur leurs films, leurs livres, leurs tableaux, leurs albums de musique. Et puis, au bout du chemin, les copies sont confisquées, leurs manuscrits brûlés, leurs galeries verrouillées, leurs CD retirés de la vente. "Les ùmeilleurs de nos comédiens meurent dans la détresse."
Sheyda a vingt-huit ans. Elle est née six ans après mon départ de l’Iran et quatre ans après l’instauration de la République islamique. Elle est cet Iran que je ne connais pas et que je cherche à happer, à saisir, cet Iran qui attire et terrorise, qui danse et pleure, qui ment et prie, qui boit et jeûne, qui célèbre la fête du Feu et qui se flagelle pour l’imam Hosseyn