Citations sur Passeport à l'Iranienne (10)
Le renouvellement de passeport est donc pour mon oncle une affaire sérieuse, presque une tragédie, qui nécessite des somnifères puissants, un conjoint compréhensif et des amis disponibles. L’idée que je vais entreprendre ce combat sans que les conditions soient réunies lui semble inconcevable.
Plus loin, un homme d'une quarantaine d'années est en train d'injurier l'Iran, sa patrie : "Je suis revenu au pays, après vingt-cinq ans d'absence" hurle-t-il. "J'ai trois doctorats ! J'ai tout laissé là-bas, ma villa, mes voitures, mon poste de consultant en produits pharmaceutiques pour rentrer et servir mon pays. Et voilà comment "ils" nous accueillent ! Cette fois c'est fini ! Dès que je mettrai les pieds dehors, je ne penserai plus un seul instant à ce foutu pays ! Je le chasserai de ma tête !"
Alors qu'il passe devant nous, Sattâr lui lance : "Tu en as mis du temps à devenir raisonnable"
Par quoi commencer, par les nuits du festival de Shirâz, où, sur la tombe de Hâfaz, à la lueur des bougies, Ravi Shankar jouait jusqu'à l'aube; où, au lever du soleil, un son avestique, émergeant des caveaux de Persépolis, après deux mille cinq cents ans de silence, conviait les êtres à se réveiller?
Voilà pourquoi Hâfez dit : "La grâce divine exerce son pouvoir, l'ange messager apporte la bonne nouvelle."
A Téhéran, même les rares bâtiments anciens ne possèdent aucune particularité, comparés à ceux, prodigieux, émouvants et éternels, d'Ispahan, de Shirâz, de Yazd (et j'en passe).
Une grosse femme, qui ne réussit pas à introduire toute la masse de sa chair dans la courbure étroite de la chaise, renonce à cette pénible bataille. Les ouvertures des guichets étant placées très bas, elle doit, pour s'adresser au policier, se baisser jusqu'au niveau de ses genoux, offrant à la vue de tous deux grosses fesses charnues — spectacle islamiquement passable de prison.
Quant au chapitre sur l'Angleterre, mon oncle fait partie de cette génération d'Iraniens qui voient la main secrète des Anglais partout — non seulement en Iran et dans le Moyen-Orient mais aussi en Europe et aux États-Unis. Les Anglais sont partout. Ils dirigent le monde. D'après mon oncle, Bush ne prend aucune décision sans consulter Blair. Il n'est qu'une marionnette entre ses mains. La Knesset est aux ordres de la Chambre des Lords, tout comme le sont le Hezbollah libanais et les ayatollahs iraniens. Inutile de lui demande : "Dans ce cas, pourquoi se font-ils la guerre ?" Il se fâche et réplique sèchement : "Je m'exprime en persan, n'est-ce pas ?"
Mon oncle ne parle pas, ou très peu. Lorsqu'il s'exprime, c'est en général pour agresser et même parfois insulter son interlocuteur. Leur entourage ne les fréquente que pour la douceur et la bonhomie de ma tante. Pourtant, dans son amour sans bornes pour son mari, elle prétend exactement le contraire : "Untel ne viendra que si tu es là, tu sais. Le pâtissier a confectionné un gâteau rien que pour toi, selon ton goût, et le boucher t'a réservé son plus tendre morceau, dans le filet, comme tu aimes."