Un siècle déjà : la Première Guerre mondiale a enterré ses dix millions de morts et ses millions de blessés et d'amputés et de gueules cassées dans la boue et le froid. Il n'est pas question de l'oublier et, pour cela, il faut raconter, il faut peindre aussi, mais en noir car l'histoire est moche. C'est celle de paysans, d'ouvriers, d'employés, d'instituteurs aussi, qu'on envoie au charbon, le nougat à la main, pour casser la tête à un autre pauvre type qui a le tort de ne pas parler la même langue.
Tardi dessine la guerre à merveille, si l'on peut utiliser cette expression : les soldats en vareuse, les tranchées au parfum des rats et de l'urine, les morts et les tripes à l'air, les chevaux dans les arbres et les ruines des villages.
Tardi utilise aussi sa verve, son argot façon 20ème siècle, son pacifisme enragé pour gueuler sa tristesse face à l'innommable, face à cette terreur que l'on ressent en se disant que l'homme est bien capable de ces choses-là.
Comme la guerre est un ensemble d'histoires individuelles, sauf si on la considère, comme ces brillants généraux, comme un jeu tactique de cartes et de statistiques,
Tardi prend au hasard des soldats, montre leurs histoires, et toujours se ressent ce malaise, rapport au massacre généralisé, rapport au formidable progrès promis qui n'apporte que la mort de masse : au choix : par le gaz, les munitions, les obus, le couteau, et même le temps qui emporte ceux qui agonisent, une balle dans le buffet et les mains et les bras empêtrés dans les barbelés. C'était ça, la guerre des tranchées.