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Citations sur D'une aube à l'autre (23)

Chaque soir, j’attendais ses messages.
Je les attendais comme un naufragé attend un morceau de bois, un tronc d’arbre, une bouée, n’importe quoi pour y déposer sa tête, ses bras, son corps.
Je me jetais sur les poèmes, les fleurs, le vent. Je les dévorais.
Les absorbais jusqu’à l’os.
Ils regorgeaient de tant de vie et de beauté. Au cœur de l’enfer, ils m’ont aidée à rester un être humain.
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Comme ce jour où Adam est allongé dans son lit, brûlant de fièvre, imbibé de morphine, visage cireux, regard fixe. Il ne s'est plus levé ni redressé depuis une semaine, ne parle quasiment plus – Seigneur, Seigneur pourquoi
et soudain sa voix atone et impérieuse : « Regarde maman, je danse, toi aussi danse, s'il te plaît, danse ! » Il me faut une fraction de seconde pour comprendre, Adam n'a pas bougé mais je regarde le drap et je crois percevoir quelque chose, très faible, un léger frémissement, alors très doucement je relève le tissu jaune : les jambes d'Adam, imperceptiblement, l'une après l'autre, tentent de se soulever. Adam danse, immobile, dans son lit. A l'instant même je sais qu'il n'y a pas une seconde à perdre, nul Seigneur Seigneur qui tienne, j'envoie valdinguer mon désespoir et je m’arrime à la joie, ou du moins au souvenir qui m'en reste, et il m'en reste, des souvenirs de joie, des moments éblouissants que je sais convoquer séance tenante, en un éclair je passe de l'abattement, assise sur l'unique chaise de la chambre, à l'allégresse, Allegria, le regard d’Adam tout entier accroché à moi, oui mon petit garçon bien sûr que je vais danser, je vais danser en surblouse bleu marine et charlotte sur la tête comme jamais je n'ai dansé, regarde-moi bien mon bonhomme, et à l'instant même la chambre numéro 5 devient la plus électrisante des pistes de danse, je déploie mes bras et je tournoie, je convoque tout ce que j'ai connu de heureux dans mon histoire et je tournoie, je chante, sous le regard brûlant d’Adam je danse, les murs coquille d'œuf de la chambre numéro 5 viennent de tomber à terre et Adam et moi dansons ensemble, lui immobile sous les draps et moi entre le lit médicalisé et la fenêtre, et rarement sans doute Adam et moi avons été aussi heureux.
Était-ce un secret ? Un pacte tacite entre nous que nous avons conclu dès le soir de notre arrivée ? La joie. La joie pour nous sauver.
(p.13)
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Puis
la phrase, prononcée sans me regarder : « Madame, ce n'est pas seulement un problème d’hémoglobine, regardez, votre fils n'a quasiment aucun polynucléaire neutrophile, il n'y a pas une seule anomalie dans la formule sanguine de votre fils mais deux »
et les quelques secondes de pause qui suivent
durant lesquelles mon silence effaré
et mon impossibilité de répondre quelque chose à cela
qui d'ailleurs n'attendait nulle réponse
la terre sous mes pieds qui devient meuble
friable
la terre qui se désagrège
je commence à tomber
y a-t-il quelqu'un pour stopper le processus de mise en marche du désastre je commence à tomber lutter pour ne pas comprendre
ne pas comprendre ce qu'il cherche à me dire
Le bref coup d'œil de l'interne vers moi comme s'il jugeait de mes forces avant de reprendre
d'une voix basse et ferme
désaffectée de tout sentiment
je dirais même : dure
une lame de couteau plantée calmement dans mon cœur
[…]
sa voix ferme comme s'il cherchait à agripper quelque chose en moi
le début de la corde, peut-être, à laquelle il allait falloir s'accrocher avant qu'on nous balance dans le vide

mais, le vide : nous ne le connaissions pas encore
nous ne pouvions pas encore nous le représenter

Il faut préciser une chose : l'interne était beau.
Lorsqu’il était entré dans le box une demi- heure plus tôt j'avais pensé Il est beau
J'avais pensé, idiote que je suis, ça va bien se passer, puisqu'il est beau
(p.27)
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À Noël dernier, il m’a écrit : « Tu sais, dans les tempêtes, chacun essaie de résister et d’aider les autres à le faire. Je suis heureux si j’ai pu t’aider dans ces temps difficiles. Au fond, en vieillissant, on s’interroge sur son utilité pour les autres. Tu m’as offert cette chance. »
D’une certaine manière, c’est Adam qui nous a offert cette chance, nous permettant de rebattre les cartes de la vie.
À l’âge de quarante-sept ans pour moi et de soixante-dix-huit pour lui, nous avons été, au royaume des ténèbres, le père et la fille les plus heureux l’un pour l’autre.
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La force que tu trouves, qui déferle d’un coup sur toi, dans cette chambre du quatrième étage du service d’hématologie de l’hôpital Robert-Debré, elle vient de plus loin que toi. Elle vient d’un temps très ancien, c’est ta part archaïque, primitive, qui d’un coup a pris les commandes. Tu l’ignorais, mais le 18 mars 2020, dans la chambre avec ton fils, tu n’étais pas seule : il y avait derrière toi une puissance rugissante, l’histoire de toutes les mères depuis les premiers temps du monde. Tu étais traversée par leur courage, leur énergie inébranlable, elles avaient déposé en toi, sans que tu le saches, un limon fait d’instinct de survie et de protection, et tu ne le savais pas, toi qui jusque-là n’avais pas eu besoin de te confronter à l’innommable, tu ne le savais pas mais tu étais une louve, tu avais des crocs, un corps très massif. En cet instant tu découvres que tu es aussi vaste que le monde, aussi vieille et puissante que la première des mères. Tu protèges ton fils. Tu le portes. Tu le secours.
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Parfois tout était trop difficile et alors c'est chaque fois la même phrase qui me venait. Elle déboulait sans crier gare, pulsant à l'intérieur de ma tête : Seigneur, Seigneur, pourquoi m'as-tu abandonnée ? Pourquoi elle ? Je pensais avoir perdu depuis des années tout rapport au religieux. A qui m'adressais-je donc ainsi lorsque je me sentais sur le point de sombrer, intimement convaincue que quelqu'un, quelque part, m’entendait ? (p.11)
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Il n'y a pas eu d'heure. Personne ne t'a prévenue de rien. Tu es tombée ailleurs. Désormais, tu habites un autre espace-temps. Un monde clos, souterrain, un bunker penses-tu parfois. Un monde silencieux et rugissant. Le monde des enfers penses-tu chaque matin. (p.19)
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Il faut préciser une chose : l’interne était beau. Lorsqu’il était entré dans le box une demi-heure plus tôt j’avais pensé Il est beau
J’avais pensé, idiote que je suis, ça va bien se passer, puisqu’il est beau
Le bel interne à partir du moment où il a pris connaissance des analyses sanguines de notre fils n’a plus souri
Le beau visage est devenu de glace
figé
Et c’est cette absence de sourire qui a achevé de me faire comprendre
même si je ne voulais pas comprendre
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Celui qui nage aux confins du royaume des morts est, plus que nous autres qui évoluons à la surface du réel, transpercé, poignardé par le beau. 
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Je haïssais le dehors. Je haïssais le Covid. Je haïssais tout ce qui n’avait pas de lien direct avec ce qui se passait à l’intérieur de la chambre numéro 5.  
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