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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Un incroyable tour de force !
C'est ce qu'annonce le bandeau sur la couverture et ma foi je suis tout à fait d'accord. J'ai découvert Alex Taylor avec son deuxième livre que j'avais bien apprécié (Le sang ne suffit pas), et mon sentiment est que le "Verger de marbre" est encore meilleur.
Beam Sheetmire, dix-sept ans, vient de tuer l'homme qui l'avait agressé... Je vous laisse découvrir la suite du quatrième de couverture, pour le reste l'auteur va nous servir un scénario parfait sur tous les plans.
L'ambiance pour commencer, une Amérique "rurale" et brutale, un western moderne avec sheriff et bandits, un caïd redouté de tous, un bar qui fait penser aux saloons de la conquête de l'Ouest.
Un contexte sulfureux, des secrets sordides et des rancoeurs plus ou moins cachées, un véritable puzzle qui prend lentement forme.
Des personnages rudes et antipathiques, sales et méchants, menteurs ou dissimulateurs, armés et potentiellement dangereux...
J'ai particulièrement apprécié cette progression subtile et précise, tout part d'un "fait divers" sordide et classique, les conséquences vont nous offrir un enchaînement implacable, une spirale infernale où le destin semble n'en faire qu'à sa tête jusqu'à une conclusion étonnante.
J'aime ces histoires sans fioritures inutiles, sans facilités et effets superflus, une histoire carrée et brute de fonderie, parfaitement cohérente et crédible.
Cette Amérique en dehors du temps et du progrès est décidément sur une autre planète, toujours aussi dépaysante et inquiétante.
Probablement ce qui la rend si fascinante en fait.
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Une foule d'ivrognes et de prostituées s'est rassemblée derrière le bar de Daryl pour assister à un spectacle peu commun. Un routier vêtu d'un costume trois pièces enfourche un bouc qu'il a préalablement endormi, lui taille les côtes à l'aide d'un long couteau incurvé et après une minute de fouille extrait un des reins de l'animal. Tout autour, les spectateurs s'excitent et s'égosillent. Cette scène symbolise la tragédie (en grec : chant du bouc) qui se déroule dans ce comté du Kentucky. Les habitants sont marqués par une fatalité qui est à la fois sociale, familiale et géographique. Il leur est impossible de fuir. Un des personnages compare la région à un lazaret : « Les arbres noircis par l'hiver, les collines dévalant vers les plaines détrempées – des cellules où les âmes des patients étaient embourbées de ténèbres, où les démunis et les laissés-pour-compte se retrouvaient en quarantaine. C'était une prison. »
Tout couve dans un équilibre instable pendant de nombreuses années quand un événement va déclencher le mécanisme intraitable du destin : un simple coup de clé à griffe. Beam a donné un simple coup sur le sommet du crâne d'un voyageur qui tentait de dérober la caisse du ferry. Mais il va découvrir que l'homme qui gît à ses pieds est bien loin d'être un inconnu. Et cette mort va déclencher un flot de violences sans commune mesure. La tragédie peut débuter.
Alex Taylor parvient à marier la tragédie classique au roman noir. L'ambiance est sombre dans cette campagne meurtrie par l'exploitation de gisements, les personnages sont marquants (Derma, Daryl, Loat et le routier qui n'est jamais nommé et qui fait figure de "bête" apocalyptique), la violence est livrée crue, et le tout servi par une écriture fluide et travaillée. L'auteur donne une grande importance à la l'observation de la nature, aux arbres (cèdres, pacaniers, robiniers, etc) et aux oiseaux qui sont porteurs de présages. C'est du polar et de la vraie littérature, c'est beau ,c'est fort, et je vous le recommande vivement.
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Ce que j'ai ressenti:…Le polar en lumière, la lumière du polar…

« -Voyez vous on ne peut jamais prévoir ce que le monde va vous jeter dessus. J'aime être prêt à toute éventualité. »

Le Verger de Marbre est la lumière noire qui éclairera votre rentrée littéraire! Un de ses grands romans dont on ne se remet pas tout à fait tellement, il est intense…Une de ses magnifiques écritures qui vous submergent, et vous met des papillons dans les yeux durant votre lecture…Une de ces histoires qui ne peuvent pas, décemment, s'évaporer…

« On peut pas disparaître dans une ville. (Il agita une main vers la nuit et toute son immensité.) Mais par ici, un type peut juste…s'évaporer. »

Ce n'est pas tant le destin de ce Beam qui vous bouscule, mais c'est l'excellent cadre dans lequel l'auteur dépeint cette cavale aux milles dangers qui vous arrache les viscères…On est immédiatement assailli d'un étrange malaise, qui vous mènera jusqu'au bas fond d'une ville, où la misère sociale déboite les relations, où la violence a plus de force qu'une simple main tendue, où la jeunesse n'a que peu de perspective d'avenir. Chaque situation mène plus profond dans le tourbillon des abîmes, et ce n'est pas parce que vous dormirez, que le reste du monde ne va pas continuer sa danse folle…Beam va l'apprendre à ses dépens…

Il ne savait pas que les ennuis pouvaient réellement poursuivre un homme, mais ça semblait être le cas avec lui, chacun de ses mouvements le plongeant d'autant plus profond dans les sables mouvants des calamités et de la déchéance. Il pensa tout à coup à ce qu'avait affirmé l'inconnu du ferry, que la rivière n'avait pas de fond. A présent, il se demandait si les ennuis avaient un fond, et s'il le trouverait un jour.

J'ai adoré la double de dose de noirceur avec sa robe de poésie. Il a « un je-ne-sais-quoi » qui rend la lecture particulière, l'impression de tenir un trésor de mots, un coffre fort enfoui pour tous lecteurs avides d'émotions et de qualités littéraires. La traversée dans cet étrange enfer se fait en tiraillements intérieurs, mais elle s'accompagne d'une beauté lyrique qui nous ébloui d'autant plus. J'ai lu et relu certains passages, tant je m'imprégnais de cette cambrousse rurale américaine, et de sa douce voix hypnotique, quel voyage!!!Même le titre devient une évidence et d'une implacable vérité et apporte sa touche d'intemporalité à ce récit. Une merveille à lire, à ressentir!

Des spasmes de clair de lune traversaient la cime des arbres.

J'aime ce genre de polar noir, car il contient assez de puissance pour vous marquer au fer rouge, mais là où celui ci se distingue, c'est dans l'habile lumière de son écriture. Touchée en plein coeur par ses mystères qui se dévoilent dans le sang, il restera une des lectures les plus marquantes de cette année pour moi. Un grand roman que je ne saurai trop vous conseiller lors de sa sortie le 18 aout! Jetez vous dessus si vous le croisez!!!!Coup de coeur !!!!

On pourrait dire ça parce que ça donnerait l'impression que les choses rentrent dans des cases. Mais ce serait négliger la vérité authentique.
-Et c'est quoi cette vérité?
-Le seul genre de vérité qu'il y ait jamais eu. Je parle du fait que le coeur est un mystère.

Lien : https://fairystelphique.word..
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Et au milieu coule une rivière

Cette rivière c'est la Gasping River, en plein Kentucky rural, dans un coin au moins aussi paumé que les gens qui y vivent. Pour traverser la Gasping, il faut prendre un vieux ferry tenu par Clem Sheetmire. Quelques fois, la nuit, il laisse les commandes à son fils Beam. Cette nuit là, c'est un type bizarre qui se présente à l'embarcadère. Beam le laisse monter sur le ferry mais lorsque le gars se montre menaçant, Beam le frappe avec un outil et le tue, un cas de légitime défense quoi... Ce qu'il ignore, c'est que c'était le fils de Loat Duncan, un genre de caïd du coin qui se ballade avec sa meute de dobermans spécialement dressés pour la chasse (à l'homme évidemment), que tout le monde semble redouter et avec qui ses parents ont une histoire bien particulière. Beam n'a pas le choix, il doit s'enfuir, le plus loin possible car Loat n'est pas du genre à laisser couler…
J'ai découvert Alex Taylor avec l'excellent « le sang ne suffit pas », et j'avais très envie de découvrir son premier roman qui s'avère finalement très différent, mais (presque) aussi bon. Attention, c'est toujours très noir, crépusculaire même… L'intrigue est conçue comme une mécanique implacable, une spirale infernale dans laquelle aucune échappatoire ne semble possible. Dans sa fuite éperdue, Beam rencontrera bien des personnages, mais deux sont vraiment marquants, le Bien et le Mal personnifiés en quelque sorte. le vieux Pete, d'abord, qui, lorsque les choses menacent de mal tourner (et au Kentucky, pour les blacks, c'est assez souvent), trouve refuge dans un ancien cimetière presque à l'abandon. Pete va prendre Beam sous son aile, pour quelques heures… Et il y a ce routier en costard, totalement barré -encore plus que Loat, que Beam aura le malheur de croiser… Autre « personnage », la nature, magnifique, les arbres aux noms évocateurs (pacaniers, érables, robiniers, ginseng) qui tranchent avec le contexte terriblement tragique de ce livre.
Tragiquement sans espoir.
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Le jeune Beam Sheetmire a toujours vécu dans le Kentucky (dans l'est des USA au sud de l'Indiana et au nord du Tennessee) dans un village isolé, au bord d'une rivière. Faute de pont à proximité, un bac permet le passage d'une rive à l'autre, moyennant quelques dollars. Le père de Beam gère cette petite affaire depuis plusieurs décennies. Beam le remplace occasionnellement pour conduire la navette. Une grosse bévue du jeune homme l'oblige à s'enfuir de ces lieux. Bonne occasion pour lui de démarrer une vie un peu plus palpitante ? Rien n'est moins sûr car son départ précipité attire l'attention et les suspicions, à tel point que Loat Duncan, caïd de la contrée, part à la poursuite de Beam.

Vous ne trouverez rien de bucolique dans ce récit qui se déroule dans un trou perdu des USA dans lequel la loi du plus fort semble toujours la meilleure - avec en toile de fond alcoolisme, prostitution et criminalité.
Certains personnages en prennent donc plein la gueule, et le lecteur aussi par la même occasion.
L'ambiance et l'écriture font penser à celles des romans de Donald Ray Pollock, mais sans la touche d'humour de ce dernier.
La lecture de cet ouvrage n'est cependant jamais fastidieuse, le suspense et l'émotion nous amenant à tourner les pages avec l'espoir d'un dénouement heureux.
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Néo Noir chez Gallmeister c'est un peu le rendez-vous des mauvais garçons de l'Amérique qui vous balancent des textes avec cet air nonchalant propre à ceux qui vous jetteraient un mégot à la figure. Ca brûle et ça surprend à l'image des romans qui hantent la collection. Pas vraiment des enfants de coeur, mais bourrés de talents vous ne rencontrerez pas ces écrivains dans les salons littéraires, mais plutôt au détour de bars enfumés, occupés qu'ils sont à écluser quelques verres pour se remettre des cours qu'ils dispensent dans des petites facultés de seconde zone. Et c'est dans ce vivier d'hommes et de femmes atypiques que l'on déniche des textes d'une cinglante beauté à l'instar du premier roman d'Alex Taylor intitulé le Verger de Marbre.

Au Kentucky du côté de la Gasping River ce sont les Sheetmire, père et fils qui conduisent le ferry pour franchir la rivière. Un boulot plutôt peinard qui ne rapporte pas grand-chose si ce n'est quelques ennuis avec des passagers irascibles. Mais quand l'un d'entre eux tente de le détrousser, le jeune Beam Sheetmire parvient à s'en sortir en le trucidant. Un acte qui ne va pas rester sans conséquence puisque la victime n'est autre que le fils de Loat Duncan, un puissant caïd extrêmement dangereux. S'ensuit une traque sans pitié où le chasseur, détenteur d'un lourd secret concernant sa proie, va tout mettre en oeuvre pour capturer Beam. Pour Loat Duncan qui se fout de l'honneur, il s'agit tout simplement d'une question de vie ou de mort.

Pour ceux qui éprouveraient une certaine lassitude vis à vis des aventures se déroulant dans l'Amérique rurale, il leur est recommandé de surmonter leurs appréhensions pour se plonger dans un récit qui figure parmi les plus aboutis dans le genre. Et puisqu'il s'agit d'une affaire de traque dont les codes ont été définitivement entérinés avec des films tel que La Nuit du Chasseur de Charles Laughton ou des ouvrages comme Non Ce Pays N'est Pas Pour le Vieil Homme de Cormac McCarthy, Alex Taylor s'est employé à détourner les règles du genre en nous soumettant un texte aux entournures lyriques plutôt surprenant où l'on décèle quelques influences gothiques, diffusant ainsi une atmosphère crépusculaire pas forcément glauque. Il y a un véritable souffle poétique qui se dégage de ce récit inquiétant truffé de métaphores et de périphrases à l'image du titre de l'ouvrage désignant sous une forme plus lyrique, le cimetière où débute et se conclut l'intrigue.

Le Verger de Marbre se distingue également au niveau des protagonistes qui habitent le roman. Ainsi Beam Sheetmire, jeune homme plutôt maladroit et irréfléchi, n‘inspire aucun sentiment d'empathie tant il sème le chaos et la désolation auprès des proches qui tentent de lui venir en aide. de ses maladresses ne résultent qu'une succession de tragédies à la fois déroutantes et violentes qui ne cessent de heurter le lecteur. Quant à son adversaire, Loat Duncan, une espèce de Némésis démoniaque, flanqué de ses chiens féroces, il apparaît bien plus vulnérable qu'il n'y paraît, particulièrement lorsqu'il côtoie cet étrange routier vêtu d'un costume noir. Avec ce personnage au symbolisme exacerbé, on perçoit une aura étrange, presque fantastique qui plane au-dessus de cette histoire intrigante. Au-delà d'une thématique basée sur la vengeance, Alex Taylor pimente l'intrigue en intégrant d'autres enjeux qui se révèlent plutôt originaux pour un roman riche en péripétie. Abruptes, singulière et très souvent cruelles, les confrontations permettent de révéler les caractères de protagonistes dont le côté manichéen est atténué par les veuleries des uns et le courage des autres que l'on ne retrouve pas forcément là où l'on pourrait les déceler.

Les rivières écumantes charrient leurs lots de déchets et autres objets hétéroclites, tandis que les terrains instables s'affaissent alors que l'eau prend une étrange couleur orangée dans ce comté du Kentucky parsemé de maisons abandonnées. Alex Taylor dépeint ainsi d'une manière plus subtile, notamment par le biais de brillantes plages descriptives, les affres d'une région rongée par les maux insidieux de la pollution. Allégorie sur le mal qui se décline sur tous les plans, le Verger de Marbre exhale les relents malsains d'individus qui n'ont plus grand-chose à perdre dans cette lente agonie silencieuse et inquiétante émanant d'un obscur territoire dépourvu d'avenir.

Alex Taylor : le Verger de Marbre (The Marble Orchard). Editions Gallmeister 2016. Traduit de l'anglais par Anatole Pons.

A lire en écoutant : Love de G. Love & Special Sauce. Album : Philadelphonic. Sony Music Entertainement Inc. 1999.
Lien : http://monromannoiretbienser..
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J'ai lu le verger de marbre comme on lirait une tragédie : c'est le récit d'une fuite, celle d'un homme qui en tue un autre.
Beam Sheetmire est décrit dès les premières pages comme différent des membres de sa famille : il ne ressemble pas vraiment à son père Clem dont le métier consiste à faire traverser à quelques clients, à bord d'un ferry, la Gasping River dans le Kentucky.
Clem en Charon, faisant franchir le Styx aux morts s'ils veulent trouver la paix de l'âme ? le rapprochement est bien tentant…
Cinq dollars le passage, à peine de quoi se payer une bière et un paquet de cigarettes : « Beaucoup de peine pour pas grand-chose »…
Parfois, c'est Beam, son fils, qui s'en occupe. Encore ado, « un sang fiévreux dans les veines » et souffrant de narcolepsie, il ne sait pas trop quoi faire de lui.
Or, une nuit, il est abordé par un inconnu qui refuse de payer, finit par accepter et tente finalement de lui voler sa caisse. Beam le tue. Son père lui dit de fuir. Il obéit.
Cette fuite sera, pour le jeune garçon un peu paumé, un espace de rencontres, d'apprentissages et de révélations. La lumière se fera progressivement. Il me fait penser à Oedipe fuyant les prédictions des prêtres de Delphes afin d'échapper à son destin et qui découvre, mais trop tard, qu'il a assassiné son père et épousé sa mère. « Plus on s'éloigne de la vérité, plus c'est dur d'y revenir » dira un des personnages… Il y a de l'Oedipe dans Beam et de la mythologie dans le verger de marbre.
Beam rencontrera des hommes et des femmes qui lui voudront du bien parfois, du mal souvent. Il ne comprendra pas pourquoi on veut l'aider et finira progressivement par saisir, mais trop tard, pourquoi on veut le tuer.
Et puis, il y a ce personnage étrange et fascinant qui porte un costume trois-pièces, un chauffeur de camion, dont personne ne comprend les propos métaphoriques, énigmatiques et lourds de sous-entendus, un homme toujours présent là où on ne l'attend pas, dans un lieu où il n'a rien à faire, où il ne connaît personne. Est-il le Mal, est-il la Mort, celui qui dira au shérif : « Vous pouvez trouver ça difficile à croire, mais il y a un ordre qui vous dépasse. Vous en faites pas partie. », celui qui apparaît et disparaît « comme s'il n'avait jamais été » ?
Beam rencontre aussi Pete Daugherty, le ramasseur de ginseng, celui qui raconte des histoires et semble vouloir le prévenir : les terres sont devenues maudites, il faut partir, s'éloigner… le vieil homme soigne, apaise, rassure : il est l'incarnation du Bien.
Autre figure du Bien : celle du shérif Elvis Dunne, un pauvre Créon fatigué, chargé de faire régner un ordre auquel il ne croit plus vraiment, lui qui, comme l'oncle d'Antigone, se plaît à collectionner les antiquités et à les admirer, unique moment de paix …
Qui va gagner dans ce combat de forces antagonistes ?
Les tragédies antiques données lors des fêtes de Dionysos commençaient par le sacrifice du bouc, le mot « tragédie » signifiant d'ailleurs en grec « chant du bouc ». Or ici, l'animal est bien présent, attaché au poteau du bar de Daryl où règnent les caïds du coin, les prostituées et les paumés. Il ne sera pas mis à mort mais, dans une scène quasi surréaliste, on lui enlèvera un rein qu'on lui donnera à manger.
Ultime perversion.
Est-ce à dire que le monde moderne ne cherche même plus à apaiser la colère des dieux par des offrandes, que le destin -le fatum- nommé ici misère, alcoolisme, banditisme, prostitution, meurtre est devenu inéluctable ?
Le verger de marbre est un roman fort, puissant qui met en scène des déshérités, des gens usés par la vie, piégés par une existence glauque dans laquelle ils s'enfoncent irrémédiablement chaque jour.
C'est une tragédie : la règle des trois unités n'est pas loin d'être respectée.
Unité de temps : en quelques jours, l'affaire est bouclée.
Unité de lieu : les personnages semblent incapables de quitter les terres maudites où ils vivent. Ils semblent tourner en boucle et revenir sans cesse au point de départ comme piégés dans un monde hors du monde, un monde dont on ne sort pas.
Unité d'action : fuir, fuir, fuir.
C'est fort parce que c'est serré, étouffant, mystérieux, tendu, comme habité par un mal dans lequel les personnages semblent empêtrés.
Beam l'innocent ne fait finalement que payer les fautes de ses géniteurs. En cela, il est un homme tragique. Il subit. « - J'ai bien essayé de vivre comme il fallait, dira sa mère, mais il y a ce monde. Il te piège, il t'attrape des fois, tellement qu'on dirait que les choses qu'on fait sont pas vraiment nous. Elles sont ce que quelqu'un d'autre aurait fait. »
Façon naïve de sentir qu'on est pris dans les filets, qu'un oiseau de mauvais augure plane au-dessus de notre tête comme pour signifier qu'on est le prochain sur la liste.
Les personnages de l'oeuvre sont présentés comme des êtres complexes, difficiles à cerner : on les découvre progressivement, au détour du chemin, d'une phrase, d'une histoire qu'ils racontent. On ne comprend pas toujours leurs motivations, on cherche des raisons, on émet des hypothèses… Ils ont une épaisseur et une force incroyables.
Les dialogues acquièrent parfois une dimension philosophique. Les acteurs de cette tragédie peinent souvent à se comprendre, à comprendre les autres, à saisir le sens de leur propre existence.
Leur malheur est à l'image de la Gasping River, sans fond. « Les choses peuvent pas couler sans s'arrêter » fait remarquer Beam. La vie lui apprendra que si, que l'on peut tomber longtemps, très longtemps, sans jamais s'arrêter…
Et puis enfin, seul refuge finalement dans ce monde terrible, la nature. Elle est là, omniprésente, dans sa beauté irréelle, sa sensualité infinie, sa force et sa violence sauvages et la langue d'Alex Taylor ainsi que la superbe traduction d'Anatole Pons l'enchantent, la poétisent, la transforment en personnage quasi central de l'histoire dans une langue lyrique envoûtante…

Je finirai en citant les paroles du Choeur dans Antigone d'Anouilh qui dit ceci : « Dans la tragédie on est tranquille. D'abord on est entre soi. On est tous innocents en somme ! Ce n'est pas parce qu'il y en a un qui tue et l'autre qui est tué. C'est une question de distribution. Et puis, surtout, c'est reposant la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir ; qu'on est pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu'on n'a plus qu'à crier,-pas à gémir, non, pas à se plaindre,- à gueuler à pleine voix ce qu'on avait à dire, qu'on n'avait jamais dit et qu'on ne savait peut-être même pas encore. »

Pas de doute, on y est… et c'est sublime !

Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Une traque, une chasse à l'homme avec un côté tragédie antique, le Hasard s'étant chargé de piper les dés.
Un monde désenchanté, glacial, d'une pâleur maladive et d'une lassitude fiévreuse et illusoire
Des hommes et des femmes enchainés à leur destin et une rivière, peut-être le seul personnage qui soit libre.
Du noir, du vrai noir, porté par une langue âpre, rugueuse, magnifique.
« Il sentit de nouveau le whisky, la bouse et la boue, et quelque chose de plus ancien et de plus fort, et puis il sut que c'était l'odeur du sang. »
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Le verger de marbre, AKA le boulevard des allongés, le plumard à macchabées, ou la sapinière, ça va être un élément clef du décor, que la visite y soit voulue ou imposée... Marrant de se dire qu'autour de nous, sous terre, existent plein de squelettes super bien sapés, non ?

Petite mise en garde : la lecture de ce roman de très bonne facture risque de vous laisser du noir et du sang sur les doigts, tant il est noir et gorgé de raisiné.

Si je suis passé complètement à coté de la facette ''tragédie grecque" qu'ont habilement décelée d'autres lecteurs plus aguerris que moi, j'ai été totalement envouté par ce récit efficace à la trame bien noire et implacable.

J'y ai trouvé des personnages bien campés et plus rustiques qu'une claque de José Bové, installés ans un décor bouseux où le croque-mort doit être le seul à pouvoir relancer le caïd local lors d'une partie de poker forcément truquée.

J'ai senti l'atmosphère fétide des bars miteux ou les individus malfamés viennent boire pour oublier qu'ils picolent.

Je n'ai eu aucun mal à imaginer les sueurs froides de notre héros pourchassé par un mec plus badass que Chantal Goya sous amphets', dans un monde pourri ou le Sheriff fait le canard derrière son étoile.

Une lecture sans temps morts avec des personnages extra qui s'avale et brûle le gosier et vous laisse un peu secoué comme une belle rasade de tord-boyaux.

Conquis! et deuxième ouvrage de l'auteur déjà dans ma bibliothèque. Que vous faut-il de plus pour vous jeter dessus ?






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Gallmeister : toujours un coup de coeur ! En effet, une autre pépite vient de voir le jour dans cette maison d'édition, dans cette magnifique collection NeoNoir : le Verger de marbre est un roman noir magnifique, comme je les aime : déchirant d'émotion, de noirceur dans un coin paumé des States.

Alex Taylor réussit le tour de force d'être dans la lignée des plus grands mais d'apporter sa propre pierre à l'édifice. Si Donald Ray Pollock en fait l'éloge, vous pouvez me croire : il faut le lire (et encore plus si je le confirme :p). Il y a un respect scrupuleux du genre mais aussi une ambiance extrêmement pesante et bien ficelée, la patte de Taylor est présente à tout instant.

Tout d'abord parlons des protagonistes : j'aime énormément le fait de ne pas suivre uniquement le héros, de pouvoir voir les différents personnages de l'historie à l'image de Deep Winter de Samuel W. Gailey (que je vous recommande) : le lecteur est ainsi omniscient et peut suivre l'ensemble des actions essentielles de l'intrigue tout en apprenant plus sur la personnalité des êtres qui composent l'histoire.

Il y a Beam, le personnage principal, celui qui va déclencher l'ensemble des meurtres à venir en étant lui-même le premier meurtrier (certes involontaire). Sa jeunesse excuse parfois sa lâcheté, sa peur et sa colère intrinsèques le guident sans cesse et malgré ses faux pas on ne peut que l'aimer. J'ai aussi beaucoup apprécié le shérif Elvis ainsi que Clem et Pete. Après comme dans tout bon roman noir il y a des personnages très sombres comme le routier, Loat, Daryl; des personnages plus ambivalents comme Derna la mère. Tous très intéressants, fascinants dans leur genre !

Dans le style, Alex Taylor est roi : entre des dialogues qui sentent la terre et la bière, il y a des descriptions et des réflexions sublimes. Une prose magnifique d'autant plus parce qu'elle est traduite par Anatole Pons ! J'ai été vraiment émue par certains extraits qui permettaient de rentrer dans les pensées de ces êtres perdus dans un monde si beau et si vaste et si cruel. Il y a de la philosophie dans cette histoire de sang et de meurtres. Une intrigue qui fait monter l'angoisse au fil des pages, qui révèle le véritable fond de chacun, qui intègre le lecteur. Une histoire qui prend aux tripes.

En définitive, faites confiance à cette maison d'édition, laissez-vous guider le long d'une rivière du Kentucky, dans les eaux sombres et terrifiantes dont on ne revient pas toujours vivant... Coup de coeur !
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