A travers les expressions conjointes d'Emile Bernard et de Gauguin, chacun saut désormais qu'il peut écarter son art du réel, pour créer un être autonome, doué d'une vue propre: le tableau
Il s'agissait bien d'exalter les couleurs sans s'occuper trop du ton local, du ton exact des spectacles observés. il s'agissait aussi de simplifier les formes, dans un trait qui en accentua le caractère.
En travaillant de mémoire, dira Bernard, j'avais l'avantage d'abolir l'inutile complication des formes et des tons. Il restait le schéma du spectacle regardé. Toutes les lignes revenaient à leur architecture géométrique, tous les tons aux couleurs types de la palette prismatique.
L'art ne doit pas être une imitation, on ne doit prendre de la nature que ce qui est nécessaire pour le tableau.
Ce n'est plus tant le spectacle que l'on a sous les yeux qu'il s'agit de peindre, c'est l'idée que l'on n garde, dans l'esprit.
La touche est encore impressionniste à la manière de Pissarro, mais elle tend à s'élargir et à se diversifier.
Sous le ciel de Pont aven va commencer un dialogue prodigieux entre Gauguin, le peintre insurgé de quarante ans, et cet artiste passionné de vingt ans Emile Bernard. Puis viendra le tour d'un autre jeune peintre: Paul Sérusier. Après une merveilleuse "conversation épistolaire", Gauguin va un temps retrouver Vincent van Gogh en Arles.
Un pays sans doute ne peut suffire à l'éclosion d'un art. mais la rencontre d'une pensée avide de renouveau d'expression avec une terre à la spiritualité profonde peut être singulièrement bénéfique.
Ensemble ils mettaient au point cette technique qui allait consister non plus à fragmenter diviser les couleurs mais à les étaler en francs à plats comme dans les crépons japonais, puis à les enserrer, à les "cloisonner" de traits sombres comme cela se fait pour les vitraux et pour les émaux.
Gauguin approfondit ici l'esprit de sa peinture tout en se pénétrant du climat spirituel de cette terre à laquelle il s'attache.