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EAN : 9784798109596
Chapitre.com - Impression à la demande (01/01/2014)
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
André Theuriet fut un expert de la Berlle-Époque en drames romantiques et en roman de moeurs provinciales. Extrêmement prolifique (plus de 50 ouvrages publiés entre 1874 et 1907), André Theuriet a fixé, avec le souci d'un réalisme extrême, la société et les moeurs de la IIIème République, assez souvent celle d'une bourgeoisie un peu "sauvage", un peu misanthrope et repliée sur elle-même, dont il dénonçait la morale rigide et l'égoïsme sournois. Mais cependant, André Theuriet reste un écrivain qui s'efface volontiers devant ses personnages et qui se garde bien de soumettre ses lecteurs à sa philosophie personnelle : il narre, il décrit les sentiments et les actions, il laisse ses lecteurs et lectrices conclure par eux-mêmes, conscient que cette bourgeoisie de province qu'il dissèque dans toute la crudité de son âme constitue en fait le gros de son lectorat.
« Deux Soeurs » est à ce titre l'une de ses plus éclatantes réussites, même si, sur bien des points, c'est un roman qui s'appuie sur des règles de morale et de bienséance dont nous ne nous encombrons plus guère. L'action se déroule dans les alentours du lac d'Annecy, région qu'affectionnait Theuriet qui y a situé plusieurs de ses romans, car il passait régulièrement ses vacances à Talloires. Les deux soeurs héroïnes de ce roman sont deux jeunes filles de 18 et 20 ans, Françoise et Claudia Dumoulin, deux soeurs qui ne se ressemblent en rien mais qui s'aiment beaucoup : Claudia est une blonde sculpturale, candide et virginale. Françoise est une brune de type étrangement méditerranéen, déjà très femme et très pulpeuse. Leur père César Dumoulin, veuf, tient avec sa soeur Mme Tavan, veuve également, la plus grande mercerie-rouennerie d'Annecy, "Au Fil de la Vierge". Depuis trente ans que le commerce existe, les Dumoulin se sont enrichis, sans pour autant cesser d'être de grossiers et égoïstes commerçants. ils ont embauché un brave garçon pas très intelligent et un peu bourru, Prosper Baduel, qui fait l'essentiel du travail pour un salaire dérisoire. César et sa soeur tiennent beaucoup à cet homme dévoué et bon marché, et projettent de lui faire épouser Claudia, leur aînée, qui sera légataire de la mercerie quand eux-mêmes se retireront. Mais ils n'ont pas encore parlé de ce projet aux deux intéressés...
Alors que César et ses deux filles passent un dimanche de randonnée dans la montagne près de Dingy (aujourd'hui Dingy-Saint-Clair), en compagnie de Prosper, ils se font surprendre par la nuit tombante et se retrouvent égarés. Heureusement, ils sont sauvés par un jeune professeur passionné de randonnée, Maurice Tournyer, équipé de lanternes de poche, et comme il connaît parfaitement cette région, il guide et raccompagne les Dumoulin jusqu'au plus proche chalet, où ils peuvent se restaurer et passer la nuit.
Très vite, Françoise ressent une très grande attirance pour Maurice, mais celui-ci sent plutôt son coeur s'enflammer pour la blonde Claudia. Dans ce but, le jeune professeur s'efforce de se montrer agréable avec les Dumoulin, dont il finit par devenir rapidement l'un des amis proches, leur rendant visite tous les dimanches.
Quelques mois plus tard, au cours d'une de ses visites, Maurice s'isole dans le jardin avec Claudia et lui avoue son amour. La jeune fille n'en est pas suprise mais elle en follement heureuse, car elle aussi se rendait compte que Maurice devenait l'objet de ses pensées les plus tendres. Surprenant alors les deux jeunes gens dans une conversation qu'il devine bien trop intime, César Dumoulin s'offense de ce rapprochement qui contrarie ses projets personnels. Il fait comprendre à Maurice qu'il n'est désormais plus invité chez lui, et impose à Claudia de ne plus sortir sans être chaperonnée par sa tante.
Pour Claudia comme pour Maurice, c'est un drame, encore que ni l'une ni l'autre ne soit prêts à renoncer à leur amour. César de son côté invite Prosper Baduel à demander Claudia en mariage le plus vite possible, mais il se fait assez sèchement renvoyer par Claudia. César Dumoulin tombe à bras raccourcis sur sa fille, exige qu'elle épouse Prosper et menace de la confiner dans sa chambre avec interdiction de sortir jusqu'à ce qu'elle accepte d'épouser l'homme qu'il a décidé de lui donner pour mari. Mais ce dernier lui-même s'oppose à ce projet : si Prosper n'a ni l'instruction de Maurice ni son physique attrayant, ce n'est pas un mauvais homme. Il aime réellement Claudia, mais serait mortifié qu'elle l'épouse contre sa volonté. Il menace son patron de démissionner s'il s'entête dans des projets aussi malsains. Dompté et dépendant de son employé, César Dumoulin fait un temps profil bas, mais il entend bien cependant ramener sa sotte de fille à la raison.
Tout cela n'empêche pas que l'avenir se présente très mal pour Maurice et Claudia, qui n'ont plus aucune chance de se voir. Heureusement, Françoise se propose pour servir de "commissionnaire" entre les deux amants. Pendant de nombreux mois, elle va ainsi se rendre à des rendez-vous secrets avec Maurice, deux à trois fois par semaine, pour lui transmettre une lettre d'amour de Claudia et recevoir celle qu'il a écrit en retour de la précédente. Mais cette complicité qui s'installe apporte chez chacun d'eux un trouble inattendu. Parce que Françoise est le seul lien qui reste à Maurice avec Claudia, il guette sa silhouette avec un peu l'excitation que lui procurerait celle de Claudia si elle pouvait le rejoindre. Par son dévouement, Françoise reste dans l'intimité de Maurice alors que le souvenir de Claudia perd un peu de sa consistance... Quant à Françoise, qui n'a ni amoureux, ni soupirant, elle découvre auprès de Maurice le frisson de l'interdit, et les émotions bouleversantes d'un homme amoureux. Elle sent bientôt naître en elle le besoin orgueilleux d'être elle aussi l'objet de cet amour. Un jour que leur échange de lettres se fait non loin de chez Maurice, sous une pluie soudaine et battante, Maurice ne peut que proposer à Françoise de se sécher devant un bon feu. Mais cette chaleur bienfaisante en fait naître une autre, au plus profond de Françoise qui s'abandonne avec volupté à Maurice. Celui-ci, bien que plus âgé, n'a pas plus d'expérience que Françoise ou Claudia, il reste bouleversé par cette femme qui s'offre ouvertement à lui, mesure les conséquences qu'il y a à s'abandonner à cette étreinte, et celles à ne pas s'y abandonner - car sèchement répudiée, Françoise pourrait ne plus vouloir continuer à transmettre les lettres de Claudia. Dépassé par l'évènement, incapable de les contrôler, il s'y abandonne lui aussi. Maurice et Françoise font alors l'amour avec une intensité rare, nourrie de leurs frustrations réciproques. Quand ils s'arrachent à leurs étreintes, une atroce et semblable culpabilité se saisit d'eux. Françoise regagne sa maison dans un état d'extrême confusion, qui éveille les soupçons de son père. César lui demande alors d'où elle vient. Françoise répond qu'elle est allée chez un fournisseur. Se rendant lui-même immédiatement chez ce fournisseur, il apprend de sa bouche qu'il n'a pas vu Françoise depuis plusieurs semaines. César comprend alors que Françoise sert d'entremetteuse à sa soeur, et il décide de la confiner elle aussi. Les deux soeurs restent ainsi claquemurées dans leur chambre pendant deux mois. Françoise n'a rien osé dire à Claudia de ce qu'il s'est passé avec Maurice, mais hélas, petit à petit, elle sent dans son corps d'étranges sensations, accompagnées de brusques fringales, et malgré son ignorance des choses de la vie, elle n'en comprend pas moins qu'elle est enceinte, et que d'ici très peu de temps, il sera impossible de le cacher...
Alors Françoise, dans un moment de détresse totale, avoue tout à sa soeur. Pour Claudia, c'est le monde entier qui s'effondre. Méprisée par ses parents, trahie par l'homme qui l'aime, trahie par sa propre soeur, Claudia n'a plus personne à qui se raccrocher, mais rapidement, elle comprend qu'il n'y a hélas plus qu'une chose à faire pour éviter le scandale et l'opprobre de la ville toute entière.
Elle descend rapidement dans le salon et s'adresse à son père et à sa tante avec une gravité et une autorité qui leur en impose : Claudia leur déclare accepter de devenir la femme de Prosper Baduel, mais à la seule condition que, au même moment et le même jour, Françoise soit autorisée à épouser Maurice Tournyer. Et tout cela doit être fait avant deux semaines. Elle convainct son père et sa tante, stupéfaits, que Maurice n'a jamais eu d'autre intention que d'épouser Françoise, qu'elle est assurée qu'il fera sa demande quand elle l'en priera, et que son mariage à elle ne sera validée qu'à la seule condition que celui de Françoise le soit aussi.
César Dumoulin et sa soeur en restent pantois, mais tous deux ont une médiocre cervelle de boutiquier, et ont bien du mal à avoir en même temps deux idées fixes. Leur obsession était de marier Claudia à Prosper. le revirement de Claudia fait leur affaire, et dès lors, ils ne cherchent pas à en connaître les raisons ou l'origine. le mariage de la cadette les indiffère, et faire rentrer dans la famille un homme qu'ils ont chassé deux mois plus tard ne leur semble aucunement un paradoxe. Tout ça, ce ne sont que des affaires, cela peut s'arranger autour d'un verre, et Claudia leur parle une langue qu'ils connaissent bien : celle du contrat avec conditions. Sur cet engagement formel, César et sa soeur rendent toute liberté à leurs deux filles.
La première préoccupation de Claudia est de convoquer Maurice.
Celui-ci est au trente-sixième dessous. Sans nouvelles des deux soeurs, il se maudit pour son moment d'égarement, et a même fait une demande de mutation pour Grenoble - ce que Claudia et Françoise avaient appris par le journal local. Maurice reçoit donc l'invitation de Claudia avec une certaine appréhension. Françoise a-t-elle parlé ? Claudia veut-elle enfin l'épouser ou au contraire rompre ? Croyant en sa bonne étoile et à la conviction de ses sentiments, Maurice rejoint la femme qu'il aime avec l'intention bien déterminée d'obtenir sa main coûte que coûte. Mais la Claudia qu'il retrouve est une jeune femme brisée dont le regard dur et accusateur ne se laisse pas flêchir. Elle annonce à Maurice qu'elle sait tout de ce qu'il a fait avec Françoise, qu'elle-même va épouser Prosper et que lui, Maurice, va épouser sa soeur. Maurice se révolte, refuse catégoriquement chacun des deux mariages, va jusqu'à proposer à Claudia de s'enfuir avec elle à Grenoble. C'est alors que Claudia lui révèle que Françoise est enceinte. Foudroyé, Maurice s'effondre sur une chaise, et se met à pleurer sur sa vie misérable, et sur celles qu'il a fletri à jamais. Au final, il donne son accord pour tout ce que voudra Claudia.
Il reste à Claudia une dernière épreuve, qui n'est pas la plus facile. Car en apprenant son revirement, Prosper Baduel s'est d'abord montré méfiant. N'était-ce pas son père qui lui avait forcé la main ? Prosper demande avant toute chose à Claudia de lui jurer que c'est sur sa volonté propre qu'elle souhaite être sa femme, que cela répond à des sentiments qu'elle a pour lui, qu'elle n'est amoureuse de personne d'autre, et que son père ne la force pas, car pour rien au monde, lui, Prosper, ne voudrait être marié avec une femme qui ne l'aimerait pas. Honteuse et la mort dans l'âme, Claudia se résigne à mentir et jure à Prosper qu'elle a des sentiments pour lui. Elle n'a hélas pas le choix, puisque le mariage de Françoise et de Maurice dépend du sien, et qu'il doit rapidement être bouclé, afin que l'enfant passe pour avoir été conçu à la nuit de noces. En procédant ainsi et en mentant sur ses motivations réelles, elle englobe Prosper bien malgré lui dans son enfer personnel.
Une fois les deux mariages célébrés, deux semaines plus tard, Claudia, qui est dans un état de désespoir et de dépression extrême, fait promettre à Maurice d'emmener Françoise à Grenoble, et de ne plus jamais revenir à Annecy. Celui-ci se soumet docilement à ce désir, mais c'est sans compter ceux qui sont totalement en dehors de ce complot : César Dumoulin et sa soeur. Lorsque Françoise accouche neuf mois plus tard d'un adorable bambin, ils l'invitent à Annecy avec l'idée là aussi bien déterminée d'amener les deux familles à vivre ensemble à Annecy. Cette sotte résolution, que partage aussi Françoise, désireuse de se venger du mépris de Claudia à présent qu'elle est délivrée du scandale, va amener l'ultime acte de ce drame familial à se jouer, révélant à chacun des conjoints malheureux l'épouvantable situation qui s'est tissée autour d'eux, au sein d'un cercle familial qui n'est plus constitué que de dépit, de souffrance et de haine...
« Deux Soeurs » est donc une poignante tragédie amoureuse et familiale, qui garde encore aujourd'hui toute l'intensité de son drame. En peintre virtuose des âmes et des sensibilités, André Theuriet nous offre des personnages extrêmement réalistes et nullement manichéens, ne cache rien de leurs faiblesses, de leurs égarements, de leurs vanités rancunières et même de leur superficialité. L'opposition physique et morale des deux soeurs est extrêmement bien retranscrite, la manière inéluctable dont s'effectue le rapprochement tragique entre Françoise et Maurice est parfaitement bien imaginé, et la stupidité benoite et satisfaite de César Dumoulin et de sa soeur, qui font, sans jamais s'en douter, le malheur des deux jeunes filles et celui des hommes qu'elles épousent, témoigne bien de l'irresponsabilité des parents qui ne pensent qu'à leurs intérêts matériels.
D'ailleurs, Claudia, qui se sacrifie doublement, déplore à un moment que dans toute cette histoire, les plus coupables soient les moins tourmentés : son père et sa tante sont satisfaits de la tournure des choses, la versatile Françoise goûte assez ce mariage avec un homme qui lui plaisait, quand bien même il continue à en aimer une autre. Ceux qui se sont senti le devoir moral de sauver les apparences sont les plus définitivement malheureux : Maurice se retrouve père d'un enfant qu'il n'a pas désiré et marié à une femme sotte et superficielle qui l'agace quotidiennement. Claudia finit mariée avec Prosper, pour lequel elle n'a ni attirance ni sympathie. Et Prosper, lui-même, qui comprend hélas trop tard que la femme qu'il aime n'aura jamais ni sentiments, ni désirs pour lui, se résigne à être un ami et un associé précieux, faute de mieux. Tant de vies brisées, précocement flêtries, parce que César Dumoulin et sa soeur se faisaient une certaine idée de l'avenir de leur mercerie...
Par ce récit éprouvant mais passionnant, raconté avec beaucoup de talent et de subtilité, André Theuriet rappelle que les élans du coeur sont seuls garants d'un véritable bonheur conjugal, et qu'à vouloir les contrarier, on ne fait que gâcher des jeunesses et des vies. Cette moralité était très progressiste en son temps, d'autant plus que le lectorat d'André Theuriet était plus volontiers conservateur. Aujourd'hui, nous ne vivons certes plus à une époque où les mariages des enfants sont décidés par leurs parents, du moins dans le milieu de la bourgeoisie, et tout cela peut nous apparaître totalement désuet. Mais cependant, si les moeurs ont si merveilleusement évolué depuis la IIIème République, c'est en partie grâce à des romans comme celui-ci. Les découvrir, les lire et les relire, c'est aussi une façon de se rappeler la nécessité de certains combats, même quand ils ne sont plus d'actualité, et l'importance pour chacun, chacune, de jouir de son libre-arbitre en ce qui concerne les bonheurs les plus essentiels de l'existence. « Deux Soeurs » d'André Theuriet est en ce sens un vaccin douloureux et triste contre les amours piétinés par égoïsme, mais comme tout bon vaccin, il nous rend plus forts et bien meilleurs, au fond de nous.
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