La clé
Comme fourmis d'avant le givre
nous engrangeons nos émotions
sur le clavier de nos nuits blanches.
Nos vies se pendent à des mots.
Mais le tiroir aux souvenirs
grippe sur ses taquets de nerfs
le cri des paroles se perd
dans le brouhaha des images.
Que pourrons-nous vous dire encore
étranges étrangers nos fils
si vous avez perdu la clé
qui conduisait à nos mémoires ?
(Mutants)
Taupes
Nous avons perdu nos repères. Nos enfants qui n'en avaient pas, recommencent le monde avec une autre glaise.
Mais nous, tout ce poids de mort nous enterre. Que ce qu'on a cru, n'ait plus cours ! On se remet devant les mots, on relève le défi de l'ombre. Nos pas s'enfoncent dans des sables mouvants. Des gouffres qu'on ne voit pas, se forment sous nos pieds. On n'y prend pas garde mais ça s'effondre par en dessous.
Et soudain, la croûte à son tour se dérobe et nous tombons nous aussi là-dedans, avec les taupes et la mort pour compagnes.
(Mutants)
Précipités dans l'éphémère
nous qui ne vivions
que pour la permanence !
Ce qui perdure
habite l'invisible.
À le rattraper
nous usons nos forces
creusons sans cesse plus profond
vers un fond
qui toujours s'esquive.
L'inéluctable
montée des eaux
abolira jusqu'au symbole.
(Dans les ruines)
Ce qui existe
ne se voit pas
dans le jardin de terre des hommes
ni dans leurs maisons de sommeil
ni dans leurs habits de lumière.
Ça se dessine sur du vent
que le jour dévie de sa course.
À peine a-t-on le temps de voir
une feuille qui se retourne.
Ce qui existe n'existe pas
dans les certitudes des hommes
seulement dans les yeux d'enfants
le matin
au premier réveil.
(Marmailles)
Ce qui compte
n'a pas de nom.
Cela se tient dans un feuillage
dans le regard vert d'un enfant
un reflet roux dans les cheveux
un brin de laine sur la nuque.
Le jour ne l'atteint pas.
Même la nuit le laisse
s'écrouler en silence.
À peine si la pluie
l'effleure du bout des gouttes.
Ce qui compte
n'a pas de nom.
(Marmailles)