Citations sur Un tesson d'éternité (128)
L’accomplissement d’Anna Gauthier s’est fondé sur la combinaison de deux principes : éliminer autant que possible l’incertitude et donner à voir ce qui est attendu.
Tout est une lutte pour elle, chaque geste, chaque intention, comme si elle devait s’extraire de la glu d’une illusion.
« Ils sont au bord d’un précipice, mais n’en voient pas la dimension. Ce qu’ils comprennent l’un et l’autre, c’est qu’ils n’ont plus aucun contrôle sur les évènements » (p.69)
Une brise venue de la côte glisse entre les oliviers, caresse les lauriers roses et les lavandes violettes. Anna s'est assise un instant sur le muret, profitant de la chaleur douce, des reflets argentés et mouvants des feuillages, de sa solitude éphémère. Elle ne s'est jamais habituée à ce luxe. Chaque matin, elle y puise une récompense. Chaque soir, elle y lave les contrariétés de la journée. Il y en a peu, de toute façon.
Ce n’était pas seulement sa mère que l’on enterrait, mais l’enfant et l’adolescente qu’elle avait été. Ce n’était pas une tombe qui était scellée sous ses yeux, mais l’ultime porte d’accès aux fantômes ricanants. (p.16)
Le propriétaire de la pharmacie, un homme proche de la retraite, avait pensé en la contemplant : cette jeune fille est faite pour nous. La vérité, c'est qu'elle s'était faite pour eux. Ce n'était qu'une représentation supplémentaire dans le théâtre de son existence : elle s'appliquait à montrer aux autres ce qu'ils voulaient voir et cela fonctionnait. Il y avait un prix à payer bien sûr, c'était épuisant de se surveiller, de chercher constamment dans l'œil d'autrui la validation de ses efforts, épuisant de surmonter la crainte lancinante d'être rattrapée par le passé, mais à force de pratique, c'était devenu un état naturel, cette hypervigilance, une ligne de crête qu'elle suivait avec la certitude de servir un enjeu vital.
Elle en avait appris le lexique, la grammaire, la conjugaison. Elle s'était parfois découragée, il lui semblait alors que les bien nés avaient cela dans le sang, cette posture, cette assurance, cette fluidité dans le geste comme dans la parole, et qu'elle- même ne serait jamais qu'une pâle imitatrice, qu'elle porterait toujours, bien visibles, les stigmates de son origine sociale et de la violence de son enfance.
Chacune de ses décisions, chacun de ses choix résulte d'un calcul visant à supprimer le risque.
Pourtant, à intervalles réguliers, la question revenait la hanter : Hugues l'aurait-il aimée, l'aimerait il encore, s'il savait tout d'elle ?
Et le doute formait en elle de microscopiques fissures qui s'étendaient sans bruit, se nourrissant d'elles-mêmes.
Leo a accepté tout cela parce que c'était dans l'ordre du monde, un monde dans lequel une place précise était assignée à chacun en fonction de sa position d'origine sur la grille sociale, il l'avait compris d'instinct, et aussi parce que les signaux qu'il recevait depuis son enfance lui indiquaient qu’il était déjà chanceux d'être assis à la table de plus grands que lui. Il était conscient d'être porteur d'une sorte de handicap, au travers de ses grands-parents maternels qu'il n'avait quasiment jamais connus, mais qu'il savait être de petites gens. Il s'était soumis de bonne grâce aux règles du jeu.