Je connais mon frère Guillaume. Chaque fois qu’une de ses petites amies le laisse tomber, la terre s’arrête de tourner. Il est malheureux comme les pierres. Ça dure quelques jours, parfois quelques semaines. Un beau matin, il la remplace, et tout est oublié. Croyez-moi, Jean-François, il est inutile de vous inquiéter. Je l’ai dit hier soir à Noële, lorsqu’elle m’a parlé de cette lettre. Ce qu’il faut, c’est que Marie-Hélène reste calme, qu’elle pense d’abord à son repos et à sa santé.
Elle se plaignait des dames blondes. Elle les accusait de toutes sortes de choses : de fouiller dans ses affaires, d’entrer dans sa chambre sans frapper à la porte, de voler. Certains soirs, à table, elle laissait entendre qu’elle les avait surprises dans la rue, donnant le bras à quelqu’un qui n’était pas son père. Elle mentait. Volontairement.
Et celui qu’ils surnommaient « paysan », avec un petit sourire, avait sur eux l’avantage de se lever avant les coqs, d’ouvrir sans bruit la porte des Quatre Vents et de faire quelques pas dans le jardin, en attendant le jour. Pendant vingt ans, il s’était senti plus libre qu’eux.
Ce sont des bruits familiers, les mêmes depuis des années. Des bruits, des mots, des gestes, des habitudes, comme une respiration qu’on finit par ne plus entendre tant elle est régulière.
« J’ai beau me rappeler tout, depuis des années, son indifférence, sa froideur, son silence, c’est quand même mon père, et je suis quand même sa fille. »
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