- Je suis Angle, espèce de barbare welisc !
L'abbé Cafdan haussa les épaules.
- Angle ou Saxon, quelle différence ? le même idiome guttural et la même ignorance. Alors que je vous appelle par votre nom, vous, dans votre suffisance, me traitez de welisc, ce qui dans votre dialecte signifie "étranger." C'est pourtant vous qui êtes étrangers sur l'île de Bretagne. Quand vos hordes barbares y sont arrivées il y a deux siècles, mes ancêtres habitaient ces terres depuis la nuit des temps. Vous êtes entrés chez nous en vous cachant, puis vous nous avez envahis en semant partout la mort et la terreur. Votre but est d'éliminer les Britons mais vous n'y parviendrez pas, vous et votre sale engeance.
- Sommes-nous préparés à ce qui nous attend ? demanda la voix féminine.
- N'oubliez pas que c'est pour un bien supérieur, déclara son compagnon.
- Deus Vult ! lança l'homme, Dieu le veut !
- Donc, nous sommes d'accord ? articula la femme d'une voix étranglée.
- Il faut agir ce soir même, dit l'homme sur un ton qui n'admettait pas de réplique.
Le trio se regarda dans la lumière crépusculaire et murmura d'une seule voix :
- Virtutis fortuna comes ! La chance est la soeur du courage !
Puis ils se séparèrent et disparurent dans les couloirs obscurs des catacombes.
- La sœur de votre roi est une femme étonnante, dit-il à l'abbé.
- Dans mon pays, on la tient en haute estime, Imperator, acquiesça Ségdae en souriant.
- Je suppose que vous partagez ses vues sur nos lois et sur les textes que l'évêque Leodegar espère faire ratifier aux dignitaires des Églises ?
- Je suis en plein accord avec elle, Sire. Et les délégués des Églises des Britons, des Armoricains et des Gaulois nous rejoignent sur ce sujet. Nous respectons les mêmes valeurs.
Clotaire se mit à rire et donna une claque sur l'épaule de l'abbé.
- Voilà pourquoi le bon évêque s'est assuré de réunir ici deux fois plus de représentants des Églises de Neustrie et d'Austrasie que des autres nations. Ainsi il obtiendra forcément, ce qu'il désire.
Plus fervente la foi d'un homme, plus violente sa dénonciation de ceux qui dévient de sa vision personnelle. La foi fait naître des haines féroces.
Reconnaitre ses faiblesses est une grande force.
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Nous gardons la foi dans Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais pas dans les hommes qui veulent nous dominer et ordonner notre vie avec des règlements absurdes, contraires à la nature humaine. Cette obsession de la discipline pervertit la religion.
Pour moi, une ville est une prison avec des murs partout, je ne peux vivre sans les montagnes, les rivières et les forets.
On est toujours pris au dépourvu par la morgue et l'ignorance d'un tiers, surtout quand il les brandit comme des vertus.
- Vous semblez prêcher la rébellion, ma sœur, alors que nous sommes ici pour évangéliser, pas pour changer les lois et renverser les rois et les empereurs.
- En tout cas, je ne suis pas venue ici pour un débat sur la morale.
Ce qui condamnent l'esclavage sont dans l’hérésie.