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Citations sur Veilleuse du Calvaire (2)

Moi, la Veilleuse du Calvaire, qui était là au commencement et qui serai là à la fin, moi la première à escalader cette colline quand n’y passait que le vent et n’y vivaient que les oiseaux, les couleuvres et les arbres, je ne suis pas venue te parler du passé. Ni des choses du dessus. Moi je veux te parler de l’intérieur des choses. C’est de là que je viens. L’intérieur des choses, c’est ce que le passé a fait au présent. Ce que les hommes ont fait aux hommes. Je veux dire aux hommes et aux femmes. Avant il y avait les oiseaux. Puis vinrent le sang, la violence, l’ennui, l’avidité des uns et la rancune des autres. Le simulacre et la décrépitude. La peur aussi. Ce que les hommes ont fait aux hommes. Au temps. A la vie. C’est de cela que je te parlerai. De la genèse et de la survivance. Je veux dire la dégradation. Le pire du pire, c’est la dégradation, cette manière à chaque instant plus sale, plus vile, de se survivre. L’autre te racontera les choses en prenant son temps avec force broderies, allusions et atermoiements. Ceux qui n’ont pas vécu les chosesont droit à la sagesse et la neutralité. Bienheureux le conteur quand il a le loisir d’écrire une phrase qui fait dans la dentelle, prend le temps de choisir ses mots, de poser comme pour une photo. Une phrase d’enfant gâté flottant dans la distance qui donne droit à l’humour, l’élégance, le bon rythme, le style. Je ne sais pas parler la belle langue des chroniqueurs. Ni suivre un ordre, une chronologie. Moi qui étais là au commencement, je n’ai pas le recul. L’art. Le savoir. Je n’ai de langue que blessure. La colère ne raconte pas. Elle crache. Intervient. Balance. Mon parler n’est pas attendu et ma victoire, c’est d’interrompre. Je brusque. Mon style, c’est la douleur arrachée au silence. Je réponds à l’appel du cri transformé en besoin et parle vite, dans l’urgence.
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C'était avant la dictature, au temps des lampes à kérosène. Y avait cette enfant qui n'aimait ni les poupées ni les moustiquaires. Sa mère lui rendait la vie dure et menaçait de ne plus lui acheter de carnets car elle s'abîmait les yeux à écrire nul ne savait quoi alors que la nuit était tombée depuis longtemps et qu'on n'y voyait plus très clair.

Moi, la Veilleuse du Calvaire, qui fus si peu enfant, un jour je lui ai demandé à quel jeu elle jouait la tête baissée sur ses carnets. " Je plante des mots. Pour grandir, il suffira qu'ils passent par les yeux et les bouches de mes amies".

Ils ne sont passés nulle part. Un jour la mère en furie a allumé un grand feu dans la cour et brûlé les carnets. Et ses amies qui avaient pourtant lu ses mots ne lui portèrent pas secours. La fillette en est restée muette pendant des années. La mère est morte depuis longtemps et la fillette doit être une très vieille femme. Peut-être a-t-elle rompu avec les paris de son enfance et ne parle-t-elle plus à personne. Moi, la veilleuse du Calvaire, qui ne m'avoue jamais vaincue et ne cède rien au malheur, je préfère croire qu'elle plante des mots dans un quelconque ailleurs, sur une colline où poussent encore des arbres.

La maison est restée vide. Le temps lui a enlevé ses vitres et ses couleurs, des briques et des tôles. Dans la cour abandonnée, il ne reste rien pour témoigner que vécurent là deux femmes. Rien. À part une vague odeur de kérosène.
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