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EAN : 9782330182267
176 pages
Actes Sud (23/08/2023)
3.52/5   30 notes
Résumé :
Ce livre est celui d'un paysage de pierres, de rivières et d'ombrages, celui d'une colline abîmée par la cupidité d'un homme, un notaire sans scrupule qui en ces lieux ouvre la porte à toutes les bassesses. Mais de cette colline s'élève une voix, celle de la rébellion des femmes dont le corps est la cible de toutes les offenses, dont le courage a la puissance du poème.
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Quel beau récit ! Son architecture, sa structure, est audacieuse, improbable et très originale. J'ai rarement vu un point de vue narratif aussi mouvant et instable, et c'est ce qui fait la force de ce roman. « La joie de raconter et la rage de dire » sont présentes d'un bout à l'autre du texte, la rage de dire «ce que le passé a fait au présent» ainsi que «ce que les hommes ont fait aux hommes» et surtout aux femmes. Je crois que c'est l'un des textes littéraires les plus forts que j'ai lu sur les violences patriarcales subies par les femmes, et sur la puissance des femmes que Veilleuse représente toutes. D'autant plus remarquable que l'auteur est un homme. Seul élément qui suit un schéma narratif presque classique et chronologique (avec quand même moult allusions aux événements futurs et rappels de faits passés) : l'histoire sur près d'un siècle de la colline du Calvaire, à Port-au-Prince et de ses habitants. le tout dans un roman de moins de 200 pages ! C'est magistral, et la plume est belle, rythmée et poétique. C'est la poésie et le rythme d'un cri, celui de la Veilleuse, plein de colère et de courroux. Un texte très puissant. C'est ma deuxième lecture de cet auteur et à mon avis Lyonel Trouillot est un très grand auteur de la francophonie.
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Lyonel Trouillot, dont j'aime la grâce et la poésie de la plume, revient dans un nouveau roman et donne la parole aux femmes, à travers la voix de l'une d'entre elles, celle que l'on surnomme la Veilleuse du Calvaire, témoin courroucé de l'ambition et de la perfidie des hommes, qui observe, juge et condamne cette petite communauté viciée, venue se former au sommet d'une petite colline à défricher. Son ton, comme un cri, est brusque, dicté par la colère et le courroux. Les portraits se succèdent, offrant des tranches de vie plus ou moins touchantes, plus ou moins abjectes, évoluant sous la gouvernance d'un homme cupide et sans scrupules: le notaire Marcello Mérable. le but avoué du récit est de détruire sa demeure, dernier vestige de son pouvoir déchu mais, avant cela, elle nous conduit dans les méandres de son histoire…

Grâce à un talent exceptionnel de conteur, Lyonel Trouillot nous plonge dans ces tranches de la vie haïtienne où corruption, violence, misogynie, escroquerie se font la part belle. La voix de cette Veilleuse omnisciente, qui a tant souffert et qui invite à présent au devoir de mémoire, est puissante, sensorielle et résonne telle une déesse furibonde. Malheureusement, si je suis toujours autant envoûtée par la plume de l'auteur, je dois dire que j'ai eu plus de mal à me passionner pour son dernier roman… Malgré des passages touchants et forts, c'est un texte à la chronologie capricieuse, déconstruit et donc pas toujours évident à suivre sur une version numérique qui ne se prête pas aux retours en arrière… La lecture, si elle m'a paru fluide d'un point de vue littéraire, l'était beaucoup moins d'un point de vue romanesque. Et, après quelques jours, je me rends compte qu'il ne m'en reste malheureusement pas grand chose… Alors, vivement la sortie papier pour une relecture plus immersive!
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L'écrivain né en 1956 en Haïti nous livre aujourd'hui son quatorzième roman, sans conteste l'un des plus importants. S'il a commencé de publier en 1989, c'est en 2000 avec « Thérèse en mille morceaux » (Actes Sud), qu'il s'est vraiment fait connaître d'un large public, se hissant depuis lors au tout premier rang de la fertile littérature haïtienne.
Son texte, baroque, révolté et lyrique, échappe à toutes les classifications. Roman, poème en prose, conte, récit mythologique : il y a de tout cela dans ce volume qui s'exempte de la rigueur chronologique et mêle les époques sans autre souci que la logique d'une narration elle-même passablement chahutée. C'est que la voix narrative n'a pas d'identité figée, circulant d'un personnage de femme à un autre à travers un siècle d'histoire sur une colline de Port-au-Prince. Et laissant à l'occasion entendre la voix de l'écrivain qui s'approprie cette bouleversante matière. Parce qu'en ce lieu hautement symbolique des convulsions qui n'ont cessé de secouer le pays « il y a autant d'histoires qu'il y a de mémoires. » Ce qui fut d'abord un tranquille terrain de rencontre pour les amoureux, au milieu d'une nature sauvage et protectrice, devint en effet peu à peu, consécutivement aux menées d'un notaire peu scrupuleux, un objet de spéculation immobilière attirant une population composite, depuis des nouveaux riches jusqu'aux tortionnaires du régime duvaliériste. Puis, faute d'un plan rigoureux d'occupation des sols, sous la poussée égoïste de cette nouvelle classe occupante, un exemple d'anarchie architecturale et urbanistique. La chute était amorcée, la transformation de la colline en quartier interlope en marche : « Avant il y avait les oiseaux. Puis vinrent le sang, la violence, l'ennui, l'avidité des uns et la rancune des autres. le simulacre et la décrépitude. La peur aussi », On reconnaît là, à l'échelle haïtienne, la manifestation d'un phénomène mondial de paupérisation dont Lyonel Trouillot restitue dans sa prose évocatrice les différentes étapes. L'écrivain n'a cessé, tout au long de son oeuvre, de porter un regard d'une pénétrante acuité sur des bouleversements sociaux partout à l'oeuvre, mais aux modalités plus brutales en Haïti.
C'est une femme aux visages multiples qui dresse ce constat accusateur, on la surnomme La Veilleuse du Calvaire. Une manière de figure intemporelle incarnant l'âme éternelle de la colline. En fait, écrit le romancier, la réification d'un « devoir de mémoire qui a choisi un corps de femme pour qu'il n'y ait dans le récit ni mensonge ni omission. » A sa façon lucide et enflammée celle-ci tient deux récits. le premier, qui est aussi le plus long, raconte la succession des turpitudes qui n'ont cessé de s'abattre sur son île, depuis la colonisation française et la brève abolition de l'esclavage par la Révolution, en 1793, puis son rétablissement par Bonaparte en 1802, en passant par l'occupation américaine en 1915, jusqu'à la dictature sanguinaire, durant trois décennies, de la famille Duvalier et ses tontons macoutes, de 1957 à 1986. Suivant le fil méandreux de sa mémoire, avec ses retours en arrière et ses soudaines avancées dans le temps, la conteuse restitue, dans « la joie de raconter et la rage de dire », cette histoire continûment dramatique en s'attachant à des figures anonymes, des femmes pour l'essentiel, qui la traversèrent. En filigrane, elle laisse aussi transparaître quelque chose chez elles, qui s'apparente à une puissance, une capacité de résistance, face à toutes les oppressions, à commencer par celles du patriarcat. Son second récit, dans des chapitres en italiques intercalés tout du long, reprend tout cela dans la perspective de l'épopée, ou du mythe. L'écriture, majestueuse, y est celle des grands chroniqueurs des temps anciens. Lyonel Trouillot, par l'ampleur de son propos, s'inscrit ici dans la lignée des plus grands écrivains de son île, Jacques Roumain et Jacques Stephen Alexis, plus près de nous René Depestre et Dany Laferrière.
On peut sans peine imaginer que sa « Veilleuse du Calvaire », par la multitude de ses références et les ressources d'écriture qu'elle mobilise, suscitera de nombreuses recensions et études. Il en va ainsi des textes dont plusieurs lectures ne parviennent pas à épuiser le sens. C'est tout dire.

Lien : https://jclebrun.eu/blog/
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La colline du Calvaire a bien connu des galères et des événements mystiques avant d'être nommée comme un lieu à proprement parler. Sur la colline il a toujours été question de nature et de pierre comme fondements jusqu'à ce que le notaire Mérable vienne y planter sa demeure, source du mal et apogée d'horreurs masculines, point névralgique d'une souffrance féminine, point culminant d'un monde nommé orgueil.

Sur la colline La Veilleuse du Calvaire règne discrètement, écrit sa rage dans un livre : celui que nous tenons entre nos mains. « C'est ça, ce livre. Distribuée en trois parties, sauvages, inégales, Elle est née de
rebelles à tous les ordres, une fusion sans dissolution : la joie de raconter et la rage de dire. »

La Veilleuse est mystérieuse, on l'imagine sous multiples apparences, comme si elle traverse les temps. Avec son livre-cri elle porte la voix des femmes disparues, ensevelies sous la honte masculine. Cette Veilleuse m'a bousculée, elle nous raconte cette histoire de colline sans repères spatio-temporels, son cri m'a parfois semblé assourdissant.

Lyonel Trouillot a une langue aussi poétique que cash, pour nous envoûter et nous secouer aussi.
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Dans ce court roman, on s'éloigne d'emblée des constructions narratives classiques, et de notre confort habituel de lecture. Secoués par le récit, rapide, urgent, déstructuré, de cette Veilleuse.

C'est une histoire racontée comme un long chant, en forme de cri, pour dire la colère et le refus de la violence des hommes, de la cupidité de l'homme, du déni d'humanité imposé au corps des femmes.

Narratrice omnisciente, que l'on se figure mi-déesse mi-Pythie, Veilleuse a quelque chose de la tragédie grecque, oui, et quelque chose d'universel tout à la fois.
Nous sommes à Port-au-Prince et nous sommes partout sur cette planète. Nous sommes elles et nous sommes nous.

Je m'attache ici bien plus au style et à la forme, exceptionnels - du Lyonel Trouillot dans toute sa splendeur. Car le fond, nous le connaissons tous.tes : l'histoire des violences patriarcales et la manière dont, rugit et rugira inéluctablement la riposte 🔥

C'est magistral, sert le combat comme il le dépeint, avec puissance et sans compromissions. À lire absolument !
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critiques presse (1)
Marianne_
29 août 2023
[Un] magistral petit roman.
Lire la critique sur le site : Marianne_
Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Moi, la Veilleuse du Calvaire, qui était là au commencement et qui serai là à la fin, moi la première à escalader cette colline quand n’y passait que le vent et n’y vivaient que les oiseaux, les couleuvres et les arbres, je ne suis pas venue te parler du passé. Ni des choses du dessus. Moi je veux te parler de l’intérieur des choses. C’est de là que je viens. L’intérieur des choses, c’est ce que le passé a fait au présent. Ce que les hommes ont fait aux hommes. Je veux dire aux hommes et aux femmes. Avant il y avait les oiseaux. Puis vinrent le sang, la violence, l’ennui, l’avidité des uns et la rancune des autres. Le simulacre et la décrépitude. La peur aussi. Ce que les hommes ont fait aux hommes. Au temps. A la vie. C’est de cela que je te parlerai. De la genèse et de la survivance. Je veux dire la dégradation. Le pire du pire, c’est la dégradation, cette manière à chaque instant plus sale, plus vile, de se survivre. L’autre te racontera les choses en prenant son temps avec force broderies, allusions et atermoiements. Ceux qui n’ont pas vécu les chosesont droit à la sagesse et la neutralité. Bienheureux le conteur quand il a le loisir d’écrire une phrase qui fait dans la dentelle, prend le temps de choisir ses mots, de poser comme pour une photo. Une phrase d’enfant gâté flottant dans la distance qui donne droit à l’humour, l’élégance, le bon rythme, le style. Je ne sais pas parler la belle langue des chroniqueurs. Ni suivre un ordre, une chronologie. Moi qui étais là au commencement, je n’ai pas le recul. L’art. Le savoir. Je n’ai de langue que blessure. La colère ne raconte pas. Elle crache. Intervient. Balance. Mon parler n’est pas attendu et ma victoire, c’est d’interrompre. Je brusque. Mon style, c’est la douleur arrachée au silence. Je réponds à l’appel du cri transformé en besoin et parle vite, dans l’urgence.
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C'était avant la dictature, au temps des lampes à kérosène. Y avait cette enfant qui n'aimait ni les poupées ni les moustiquaires. Sa mère lui rendait la vie dure et menaçait de ne plus lui acheter de carnets car elle s'abîmait les yeux à écrire nul ne savait quoi alors que la nuit était tombée depuis longtemps et qu'on n'y voyait plus très clair.

Moi, la Veilleuse du Calvaire, qui fus si peu enfant, un jour je lui ai demandé à quel jeu elle jouait la tête baissée sur ses carnets. " Je plante des mots. Pour grandir, il suffira qu'ils passent par les yeux et les bouches de mes amies".

Ils ne sont passés nulle part. Un jour la mère en furie a allumé un grand feu dans la cour et brûlé les carnets. Et ses amies qui avaient pourtant lu ses mots ne lui portèrent pas secours. La fillette en est restée muette pendant des années. La mère est morte depuis longtemps et la fillette doit être une très vieille femme. Peut-être a-t-elle rompu avec les paris de son enfance et ne parle-t-elle plus à personne. Moi, la veilleuse du Calvaire, qui ne m'avoue jamais vaincue et ne cède rien au malheur, je préfère croire qu'elle plante des mots dans un quelconque ailleurs, sur une colline où poussent encore des arbres.

La maison est restée vide. Le temps lui a enlevé ses vitres et ses couleurs, des briques et des tôles. Dans la cour abandonnée, il ne reste rien pour témoigner que vécurent là deux femmes. Rien. À part une vague odeur de kérosène.
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Vidéo de Lyonel Trouillot
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0:00:15 Introduction 0:01:02 Clément Camar-Mercier 0:11:47 Yasmine Chami 0:22:56 Sylvain Coher 0:33:49 Lyonel Trouillot 0:44:09 Clara Arnaud 0:55:03 Loïc Merle 1:06:13 Mathias Enard
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Plus d'informations sur notre rentrée française : https://rentree.actes-sud.fr/ #rentréelittéraire #litteratureetrangere
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