Il était sept heures du soir. Les phares de l’auto refoulaient la nuit sur les bas-côtés haillonneux et humides.
Ecoeuré de bonheur, la chair affaiblie et le cerveau lucide, il se dit, pour se justifier, que l'oubli est la condition indispensable de toute vie. Nous n'avons qu'une seule toile à notre disposition pour peindre les différentes étapes de notre destin. il est nécessaire, il est sain de recouvrir une couleur par l'autre. Toujours cette notion de santé qui excluait la tentation de la nostalgie.
Un moment, il pensa à Miguel, seul dans sa maison subitement désertée. Ne l'avait-il pas brusqué dans on affection et dans on orgueil en insistant pour prendre Frederic et Amalia sous son toit ? Avait-il le droit de s'emparer de ces deux jeunes êtres sous prétexte que leur père ne savait pas s'occuper d'eux ?
Cette idée le tourmenta le temps d'un soupir.
Comment avait-il pu se désintéresser si longtemps de ces deux enfants qui vivaient tout près de lui ? Etait-ce parce qu'il les savait heureux avec leur mère qu'il ne les voyait pas ? Soudain, il eut l'impression d'avoir perdu une écorce de protection et d'être exposé, pour la première fois, aux intempéries.
En vérité Pierre ne connaissait ces enfants qu'à travers les propose de sa femme. Ils existaient pour lui das la mesure où Suzanne s'intéressait à eux. Jamais il n'avait tenté de les approcher, de les questionner. Il les plaignit rituellement d'avoir perdu leur mère à un âge si tendre.