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Critique de SZRAMOWO


Merci infiniment aux éditions Métaillié et à Babélio pour m'avoir permis de découvrir le dernier ouvrage d'Olivier Truc La Montagne rouge, et par la même occasion l'univers si cher à cet auteur que je ne connaissais pas.
C'est la première fois que je rencontre Klemet et Nina, coéquipiers de la patrouille P9 de la police des rennes. Deux inspecteurs qui ne m'ont pas laissé indifférent.
L'intérêt de ce livre, jamais ennuyeux, est l'impressionnant apport de connaissances qu'il constitue pour le lecteur, sur la thématique de l'intégration, ou plutôt de la désintégration, des populations autochtones dans les pays scandinaves.
Les Lapons (terme politiquement incorrect remplacé par le terme Sami) ont été traités comme des sous hommes, tant en Norvège qu'en Suède, et depuis le XIXème siècle, leur culture et leurs traditions considérées comme des freins au progrès et au développement de ces pays. Frein à la déforestation, frein à l'exploitation du sous sol, frein à l'expansion des villes.
De plus, les théories eugénistes, s'appuyant sur des données contestables , mesures de crânes, d'ossements, taille et morphologie des individus pour "mesurer" leur développement intellectuel, justifient leur exclusion et leur confinement.
Loin d'un exposé fastidieux, le récit s'appuie sur des histoires individuelles qu'il replace dans leur contexte pour démontrer que la force du prétendu «progrès» est de faire douter ses «victimes».
Petrus Eriksson, l'éleveur de Rennes, s'interroge sur le bien fondé de sa quête. Chef d'une collectivité d'éleveurs, il les représente lors d'un procès à la Cour Suprême devant laquelle a été porté le conflit, d'occupation de surfaces forestières ou broutent les rennes, qui les opposent aux forestiers et au puissant syndicat des agriculteurs soucieux d'une meilleure exploitation des forêts.
Le conflit est relancé par la découverte d'ossements humains dans un enclos d'élevage qui permettrait peut-être de prouver la légitimité de la présence ancienne des Samis dans la région, et leur doit ancestral à occuper ces terres.
Petrus est intimement persuadé d'être dans son droit, mais la procédure judiciaire qui doit suivre des étapes obligées le trouble et l'éloigne de ses troupes qui trouvent que tout cela ne va pas assez vite et à l'instar de Per Persson sont prêtes à en venir aux mains.
De plus, à la surprise du Président de la cour, il a choisi de se passer des services d'un avocat.
De même, Klemet, le policier de la patrouille P9, fils d'un Sami, éleveur de Rennes qui a abandonné le métier, mais cherche à retrouver ses racines, subit avec difficultés les sarcasmes de ses collègues et du procureur Magnus Thunborg (un arriviste qui voit dans l'enquête en cours un dossier : «Explosif, oui, on aurait les journalistes qui rappliqueraient de Stockholm, c'est garanti. Vous devriez creuser ça, Nango, allez-y à fond, on s'emmerde ici, mon vieux.»).

le récit s'appuie sur une documentation constituée par Olivier Truc, spécialiste des pays nordiques pour le Monde et libération, au cours de précédentes enquêtes dans ces régions. Les remerciements en fin de roman témoignent de la qualité de ces recherches.
Par ailleurs, le récit est servi par une galerie de personnages qui valent le détour, et dont l'histoire personnelle recoupe celle de la Suède :
Les universitaires Gustaf Rogaberg et Oskar Filius prêts à tout pour légitimer leurs thèses. le premier défend le concept d'une invasion Sami, après que les Suédois aient occupé la Laponie. «Comme le racontent les fouilles que nous et nos aînés avons réalisées de longue date, les Sami sont arrivés du nord dans ces régions méridionales du Jämtland au XVIIIè siècle, repoussant progressivement les paysans suédois qui étaient implantés là depuis toujours.»
Le second est plus proche de la culture Sami, mais cette position ne lui sert qu'à faire valoir ses intérêts : «vous verrez, on me tissera une légende d'aventurier prêt à braver l'interdit et le scandale pour le bien de la science.»
L'ancien SS Bertil Vestling qui s'est reconverti dans l'antiquité et plus particulièrement le trafic de crânes Sami récupérés le plus souvent par des moyens douteux.
Justina Lyckberg, la vieille femme un peu folle et son groupe de marche nordique «bouts d'acier, rien à cirer» écument la région pour faire les vides greniers et alimenter la boutique de Vestling.

Le passé trouble de la Suède et des pays scandinaves pendant la deuxième guerre mondiale éclaire l'action des personnages et le récit d'une lumière trouble, réminiscence d'autres romans qui ont également évoqué ce sujet (Lune noire de Steinbeck, La cité des jarres de Arnaldur Indridason, le retour du professeur de danse d'Henning Mankell pour ne citer que ces trois-là).
Les tenants des théories eugénistes, en Suède et en Norvège, ont vu dans les populations Sami, une justification de leurs croyances.
«...un article signé par deux professeurs d'Uppsala qui disaient l'importance de limiter autant que possible la reproduction des individus inférieurs et d'augmenter la natalité chez les autres.
Les préceptes mis en oeuvre par les nazis par la suite;
Ils ne s'intéressent pas qu'aux Sami si ça peut te rassurer, là ce sont les gens atteints d'épilepsie qui en prennent pour leur grade.»

L'enquête de Nina et Klemet devient une course contre la montre. La Cour Suprême accorde un délai contraint aux deux policiers qui doivent démontrer l'origine ancienne des ossements retrouvés dans l'enclos d'élevage. Retrouver les crâne manquant dans les collections de crânes Sami existant en Suède, mais aussi en France et ne Russie. Les universitaires jouent un jeu trouble. L'antiquaire Bertil Vestling ment, tout comme Justina Lyckberg et ses copines. Ils ne sont pas certains d'avoir l'appui indéfectible des éleveurs. Ils se débattent avec leurs propres problèmes. La recherche de son identité Sami pour Klemet, la relation conflictuelle avec son père vieillissant pour Nina.

Je le redis, on ne s'ennuie pas à la lecture de ce roman qui nous entraine de surprises en rebondissements pour aboutir à une fin dont je ne vous révèlerai pas la teneur.

Un dernier mot. Ce roman résonne de façon étrange avec notre actualité. La question de notre identité. de nos ancêtres. de notre vivre ensemble dans une société inexorablement multiculturelle. La leçon que l'on peut en retenir est que l'on n'efface jamais les marques de l'histoire, quelles qu'elles soient. Bonnes ou mauvaises. Contraires ou conformes à nos convictions. Elles ont à tout jamais contribué à faire de nous les individus que nous sommes.

La Montagne rouge, un livre à lire ! Et pour ceux qui comme moi n'avaient jamais rien lu d'Olivier Truc, précipitons-nous sur le dernier lapon, et le détroit du Loup.
Lien : http://desecrits.blog.lemond..
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