Ils ne dirent pas grand-chose sur le chemin du retour. De temps en temps, ils faisaient des remarques du style : « Ces façade auraient bien besoin d'un coup de peinture » (Robin) et « je me demande si David a retenu à une seule de mes instructions pour faire sa lessive » (Mercy). Mais ils restaient surtout plongés dans ce genre de silence chargé de pensées non exprimées – des pensées compliquées et contradictoires qui polluaient l’air à l’intérieur de l’habitacle.
«— D'accord, alors au revoir, maman.
— Au revoir, mon chéri. »
Elle raccrocha.
« Il ne vient pas ? » lui demanda Robin.
Elle secoua la tête.
« Bon. Ça se comprend, dit-il. Il a ses copains.
Ses études...
— Je sais.
— En fait, c'est plutôt bon signe.
— Je sais. »
La plus simple des interactions le submergeait d'an-goisse. Il ne parlait jamais à bon escient, semblait-il.
Et pourtant Mercy l'aimait. Il ne lui avait jamais demandé pourquoi; il craignait qu'elle ne comprit son erreur si elle y réfléchissait trop. Il se contentait de couver précieusement cette idée, de l'entretenir et de la chérir comme il le faisait depuis le jour où elle lui avait dit oui : Mercy m'aime.
- Tu ne changeras jamais ta façon de me voir, hein ? Je suis l'enfant à problèmes. Je suis celle qui a abandonné ses études; je suis l'épouse déloyale, la briseuse de foyers, celle qui a eu un enfant hors mariage. Tu es tout simplement incapable d'admettre que quelqu'un puisse changer. Mais j'ai trente-huit ans maintenant ! Je gère un magasin. Mon mariage est très heureux et j'ai un fils qui excelle à l'école !
Mais qui pouvait dire ce qui, chez lui, avait attiré Mercy ? Il s'émerveillait encore, après toutes ces années, qu'elle lui ait prêté attention. Il était conscient qu'il n'était pas particulièrement beau, qu'il était court sur pattes et maladroit en société - il commettait toujours des faux pas avant de grogner en constatant son erreur, furieux après lui-même et secouant la tête durant des heures en y repensant. Par exemple, voyant un voisin adresser un salut, Robin s'écriait : « Oh, bonjour ! » en agitant le bras comme un dément, pour s'apercevoir une seconde après que le voisin saluait en réalite une personne qui se trouvait plus loin dans la rue.
Ou bien une caissière du magasin lui disait :
«Bon déjeuner », quand il prenait sa pause de midi, et il répondait : « Vous aussi » avant de grimacer en se donnant une tape sur le front une fois dehors, parce qu'elle-même n'allait pas déjeuner. Quel idiot, elle venait de rentrer de sa pause-déjeuner !
«Laisse-moi te dire une chose, avait-il déclaré. Si tu imagines ne serait-ce qu'un instant qu'on peut divor-cer, alors je ne veux pas que tu acceptes. » Et elle l'avait évidemment pris au sérieux. Elle avait redressé les épaules et planté son regard dans le sien. « Je te le promets, Robin, avait-elle dit. Ça n'arrivera jamais. »