Agahinda ntikica kagira mubi (Le chagrin ne tue pas, il abîme)
Aux pieds des panneaux solaires flambants neufs, dans les jardins luxuriants des lodges pour riches Américains, poussent des herbes folles d'avoir bu trop de sang. Les chèvres ne risquent plus de s'étouffer avec des sacs en plastique-désormais interdits-mais jouent parfois avec des ossements humains que les pluies font affleurer.
Léa, ma seule véritable amie ici m'a dit une fois : "Les gens ne supportent pas ton trop grand malheur. Non parce qu'ils sont saisis par l'horreur de ce que tu as traversé, mais parce qu'ils ne veulent pas admettre que leurs cicatrices, sur lesquelles ils passent des heures à chialer, sont toutes petites à côté des tiennes. Ils préfèrent imaginer que tu vas bien. Certes tu as beaucoup souffert, mais aujourd'hui, grâce à l'accueil que leur pays riche et démocratique t'a offert, grâce à l'aide qu'ils t'on apportée, qui en t'offrant les vêtements qu'elle ne mettait plus, qui en te payant des heures de ménage dans sa maison, grâce à eux et à ton courage inné de femme noire, aujourd'hui tu es guérie. Ils disent que tu es un bel exemple de résilience, te présentent fièrement à leur famille, parlent du merveilleux job que tu as décroché à la commune (encore leur petit coup de main). Et toi tu joues la parfaite négresse reconnaissante . Oh oui, un emploi précaire de dernière catégorie, est-ce que tu pouvais rêver mieux, vu qui tu es et d'où tu viens !
Des histoires de femmes qui disent leur passé simple, leur conditionnel présent et leur futur, certainement imparfait.
Amarira y’umugabo atemba ajya mu nda
[Les larmes de l’homme coulent à l’intérieur]
J’ai toujours pensé que rien de bon ne pouvait sortir de nos vies de femmes. Nous sommes trop pleines d’amertume et de souffrances tues, passées de génération en génération, essence que chaque mère a inconsciemment distillée avant de la mélanger au beurre dont elle badigeonne les corps de ses petites filles. Si une génération sur deux, ça pouvait être aux hommes de porter les enfants dans leur ventre et de les élever, le cercle vicieux serait rompu et le destin des filles libéré.