Les anneaux fatigués
On a des envies de revenir, d’aimer, de ne pas s’absenter,
et on a des envies de mourir, combattu par deux
eaux opposées qui jamais ne vont isthmer.
On a des envies d’un grand baiser qui ensevelisse la Vie,
qui finit en l’afrique d’une agonie ardente,
suicidaire !
On a des envies… de n’avoir pas d’envie, Seigneur ;
toi je te désigne d’un doigt déicide :
on a des envies de n’avoir pas eu de cœur.
Le printemps revient, revient et s’en ira. Et Dieu,
telle une courbe de temps, se répète et passe, passe
portant sur son dos l’épine dorsale de l’Univers.
Quand les tempes battent leur lugubre tambour,
quand me blesse le songe gravé sur un poignard,
on a des envies de rester planté là dans ce vers !
//Traduction de Nicole Réda-Euvremer
Agape
Aujourd’hui personne n’est venu poser de question ;
et cette après-midi on ne m’a rien réclamé.
Je n’ai même pas vu une fleur de cimetière
en si joyeuse procession de lumières.
Pardonne-moi, Seigneur : je ne suis mort que si peu !
Cette après-midi tous, tous passent
sans me poser de question ni rien me réclamer.
Et je ne sais quelle chose ils oublient et qui n’a pas
sa place dans mes mains, comme étrangère.
Je suis sorti à la porte,
et j’ai envie de leur crier à tous :
S’il vous manque quelque chose, c’est ici !
Car toutes les après-midi de cette vie,
je ne sais quelles portes claquent sur un visage,
et de quelque chose d’étranger se saisit mon âme.
Aujourd’hui personne n’est venu ;
et aujourd’hui je ne suis mort que si peu cette après-midi !
//Traduction de Nicole Réda-Euvremer
Dentelle de fièvre
Sur les tableaux de saints pendus aux murs
mes pupilles traînent un hélas! de crépuscule ;
et dans un frisson de fièvre, bras croisés,
mon être reçoit la vague visite du Nonêtre.
Une mouche pleureuse sur les meubles fourbus
veut répandre je ne sais quelle légende fatale :
une illusion d’Orients qui s’enfuient harcelés ;
un nid azur d’alouettes qui meurent en naissant.
Dans un vieux fauteuil est assis mon père.
Comme une Mater Dolorosa, entre et sort ma mère.
Et en les voyant je sens un je ne sais quoi qui ne veut
pas partir.
Car avant l’oublie qui est hostie faite de Science,
est l’hostie, oublie faite de Providence.
Et la visite naît, m’aide à vivre bien…
//Traduit par Nicole Réda-Euvremer
Unité
Cette nuit ma montre halète
près de ma tempe assombrie, comme
le barillet d’un revolver qui tourne
sous la gâchette sans trouver la balle.
La lune blanche, immobile, pleure,
et c’est un œil qui vise… Et je sens comme
estampe sa marque le grand Mystère en une idée
hostile et ovoïde, en une balle vermeille.
Ah, main qui limite, qui menace
derrière toutes les portes, qui souffle
dans toutes les montres, qui cède et passe !
Sur l’araignée grise de ta structure,
une autre grande Main faite de lumière porte
une balle qui a la forme azur du cœur.
//Traduit par Nicole Réda-Euvremer
La voix du miroir
Ainsi passe la vie, comme un bizarre mirage.
La rose azur qui enfante et donne le jour au chardon !
À côté du dogme du fardeau
fatal, le sophisme du Bien et de la Raison !
On a saisi, au hasard, ce que la main a frôlé ;
les parfums se sont envolés, et parmi eux on a senti
la moisissure qui à mi-chemin a poussé
sur le pommier sec de la morte Illusion.
Ainsi passe la vie,
avec les cantiques trompeurs d’une bacchante fanée.
J’avance tout effaré, en avant… en avant,
faisant gronder ma marche funèbre.
Avancent au pied de brahmaniques éléphants royaux,
au son du sordide bourdonnement d’une ardeur
mercurielle,
des amants qui lèvent leurs coupes sculptées dans
la roche,
et des crépuscules oubliés, une croix sur la bouche.
Ainsi passe la vie, vaste orchestre de Sphinx
qui jettent dans le Vide leur marche funèbre.
//Traduction de Nicole Réda-Euvremer