Il a eu tort de me prendre avec lui. Les grands ne sont pas trop méchants pour moi ; ils me voient timide, craintif, appliqué ; ils ne me disent rien qui me fasse de la peine, mais j’entends ce qu’ils disent de mon père, comment ils l’appellent ; ils se moquent de son grand nez, de son vieux paletot, ils le rendent ridicule à mes yeux d’enfant, et je souffre sans qu’il le sache.
Le foin, où l'on s'enfouissait jusqu'aux yeux, d'où l'on sortait hérissé et suant, avec des brins qui vous étaient restés dans le cou, le dos, les jambes, et vous piquaient comme des épingles !...
il ne sait pas au juste si M. Bergougnard est philosophe parce qu’il est constipé, ou s’il est constipé parce qu’il est philosophe
Il parle à ma mère d'une voix blanche, qui soupire ou siffle; on sent qu'il cherche à paraître bon et qu'il souffre; il lui montre une politesse qui fait mal et une tendresse fausse qui fait pitié.
Mon père avait toujours résisté - le pauvre homme. La peur d'être vu ! le ridicule s'il était surpris - la honte ! Mais ma mère tâchait de lui forcer la main de temps en temps, en me laissant affamé, dans son étude, à l'heure du souper. Il ne cédait pas, il préférait que je souffrisse un peu, et il avait raison.
Je me souviens pourtant d'une fois où il s'échappa du réfectoire, pour venir me porter une petite côrelette panée qu'il tira d'un cahier de thème où il l'avait cachée : il avait l'air si troublé et repartit si ému ! Je vois encore la place, je me rappelle la couleur du cahier, et j'ai pardonné bien des torts plus tard à mon père, en souvenir de cette côtelette chipée pour son fils, un soir, au lycée du Puy...
Le garçon n’a pas répondu à la question polie de ma mère, il est occupé avec un client , à qui il dit : "Nous avons une tête de veau, n’est-ce pas ?"
Le monsieur fait signe que oui, il ne nie pas, il a bien une tête de veau.
l y a un jardin derrière l’école, avec une balançoire et un trapèze. Je regarde avec admiration ce trapèze et cette balançoire ; seulement il m’est défendu d’y monter. C’est ma mère qui a recommandé aux parents du petit garçon de ne pas me laisser me balancer ou me pendre. (…) J’en vois d’autres, pas plus grands que moi, qui se balancent aussi. Ils se casseront donc les reins ? Oui, sans doute ; et je me demande tout bas si ces parents qui laissent ainsi leurs enfants jour à ces jeux-là ne sont pas tout simplement des gens qui veulent que leurs enfants se tuent. Des assassins sans courage ! des monstres ! qui, n’osant pas noyer leurs petits, les envoient au trapèze - et à la balançoire ! Car enfin, pourquoi ma mère m’aurait-elle condamné à ne point faire ce que font les autres ?
Ma vie sera une vie de bataille.
J’ai mon paletot sur le bras, une casquette sans visière et une gourde. « Il a l’air d’un Anglais ». Ce mot me remplit d’orgueil.
Je me penche sur ma mère évanouie ; j’inonde sa face de mes larmes. C’est bon, il parait, des larmes d’enfant qui tombent sur les fronts des mères !