Citations sur L'Enfant (142)
J’entends les boyaux de mon père qui grognent comme un tonnerre sous une voûte : les miens hurlent ; — c’est un échange de borborygmes ; ma mère ne peut empêcher, elle aussi, des glouglous et des bâillements ; mais elle a dit, à la station, qu’il ne fallait pas dîner et l’on ne mangera pas avant demain. On ne man-ge-ra pas.
Je suis en noir souvent, "rien n'habille comme le noir", et en habit, en frac, avec un chapeau haut de forme ; j'ai l'air d'un poêle.
Pour mieux dire, sa tête rappelle, par le haut, à cause du serre-tête noir, une pomme de terre brûlée et, par le bas, une pomme de terre germée ; j'en ai trouvé une gonflée, violette, l'autre matin, sous le fourneau, qui ressemblait à grand-tante Agnès comme deux gouttes d'eau.
Il m'emmène quelquefois à la prison, parce que c'est plus gai. C'est plein d'arbres ; on joue, on rit, et il y en a un, tout vieux, qui vient du bagne et qui fait des cathédrales avec des bouchons et des coquilles de noix.
A la maison l'on ne rit jamais ; ma mère bougonne toujours. - Oh ! comme je m'amuse davantage avec ce vieux-là et le grand qu'on appelle le braconnier, qui a tué le gendarme à la foire du Vivarais !
A tous ceux qui crevèrent d'ennui au Collège ou qu'on fit pleurer dans la famille, qui, pendant leur enfance furent tyrannisés par leur maîtres ou rossés par leurs parents, je dédie ce livre.
Il y a beaucoup de choses qu’il faut garder avec soi, dis ma mère. Et elle a gardé beaucoup de choses, on les entasse sur moi.
Je les aime tant avec leur grand chapeau à larges ailes et leur long tablier de cuir ! Ils ont de la terre aux mains, dans la barbe, et jusque dans le poil de leur poitrail ; ils ont la peau comme de l’écorce, et des veines comme des racines d’arbres.
J'ai le respect du pain.
Un jour je jetais une croûte, mon père est allé la ramasser. Il ne m'a pas parlé durement comme il le fait toujours.
«Mon enfant, m'a-t-il dit, il ne faut pas jeter le pain; c'est dur à gagner. Nous n'en avons pas trop pour nous, mais si nous en avions trop, il faudrait le donner aux pauvres. Tu en manqueras peut-être un jour, et tu verras ce qu'il vaut. Rappelle-toi ce que je te dis là, mon enfant!»
Je ne l'ai jamais oublié.
Cette observation, qui, pour la première fois peut-être dans ma vie de jeunesse, me fut faite sans colère, mais avec dignité, me pénétra jusqu'au fond de l'âme; et j'ai eu le respect du pain depuis lors.
Les moissons m'ont été sacrées, je n'ai jamais écrasé une gerbe, pour aller cueillir un coquelicot ou un bluet; jamais je n'ai tué sur sa tige la fleur du pain!
Ce qu'il me dit des pauvres me saisit aussi et je dois peut-être à ces paroles, prononcées simplement ce jour-là, d'avoir toujours eu le respect, et toujours pris la défense de ceux qui ont faim.
«Tu verras ce qu'il vaut. »
Je l'ai vu.
Je vais toujours rôder dans une écurie, qui est près de chez nous, et où je connais des palefreniers, avant d'entrer en classe, et je n'ai pas seulement du crottin aux pieds, j'en dois avoir aussi dans mes livres.
Fainéant !—Parce que, dans le silence glacial de la maison, ce travail de bachot et cet acharnement sur les morts m'ennuient, parce que je trouve les batailles des Romains moins dures que les miennes, et que je me sens plus triste que Coriolan! Oh! il ne faut pas qu'il m'appelle fainéant!