Car enfin, pourquoi ma mère m’aurait-elle condamné à ne point faire ce que font les autres ? Pourquoi me priver d’une joie ? Suis-je donc plus cassant que mes camarades ? Ai-je été recollé comme un saladier ? Y a-t-il un mystère dans mon organisation ? J’ai peut-être le derrière plus lourd que la tête. Je ne peux pas le peser à part pour être sûr. (...) Oh ma mère ! Ma mère !
Il a eu tort de me prendre avec lui. Les grands ne sont pas trop méchants pour moi ; ils me voient timide, craintif, appliqué ; ils ne me disent rien qui me fasse de la peine, mais j’entends ce qu’ils disent de mon père, comment ils l’appellent ; ils se moquent de son grand nez, de son vieux paletot, ils le rendent ridicule à mes yeux d’enfant, et je souffre sans qu’il le sache.
J’ai mon paletot sur le bras, une casquette sans visière et une gourde. « Il a l’air d’un Anglais ». Ce mot me remplit d’orgueil.
Je me penche sur ma mère évanouie ; j’inonde sa face de mes larmes. C’est bon, il parait, des larmes d’enfant qui tombent sur les fronts des mères !
« Ça fait du bien de marcher par ce froid-là », dit Matoussaint, - qui veut me faire croire qu’il s’amuse, mais qui grelotte comme un lustre qu’on époussette.
J’ai remarqué, depuis, que beaucoup de paysans ont de ces figures-là, rusées, vieillottes, pointues ; ils ont du sang de théâtre ou de cour qui s’est égaré un soir de fête ou de comédie dans la grange ou l’auberge, ils sentent le cabotin, le ci-devant, le vieux noble, à travers les odeurs de l’étable à cochons et du fumier : ratatinées par leur origine, ils restent gringalets sous les grands soleils.
Mais les grands domestiques aussi sont plus heureux que mon père !
Ce n’était plus du latin, cette fois. Ils disaient : « Nous avons faim ! Nous voulons être libres ! »
J’avais mangé trop de pain amer chez nous , j’avais été trop martyr à la maison pour que le bruit des ces cris ne me surprit pas le cœur.
Puis, je déchirais, en idée, les habits si mal bâtis que j’avais toujours portés et qui avaient toujours fait rire ; je les remplaçais par l’uniforme des bleus , je me glissais dans les haillons de Sambre-et-Meuse.
On n’était plus fouetté par sa mère, ni par son père, on était fusillé par l’ennemi, et l’on mourait comme Bara. Vive le peuple !
Ce goût de vin ! – la bonne odeur des caves ! – j’en ai encore le nez qui bat et la poitrine qui se gonfle. Les buveurs faisaient tapage ; ils avaient l’air sans souci, bons vivants, avec des rubans à leur fouet et des agréments plein leur blouse – ils criaient, topaient en jurant, pour des ventes de cochon ou de vaches. Encore un bouchon qui saute, un rire qui éclate, et les bouteilles trinquent du ventre dans les doigts du cabaretier ! Le soleil jette de l’or dans les verres, il allume un bouton sur cette veste, il cuit un tas de mouches dans ce coin. Le cabaret crie, embaume, empeste, fume et bourdonne.
A deux minutes de là, le collège moisit, sue l’ennui et pue l’encre ; les gens qui entrent , ceux qui sortent, éteignent leur regard, leur voix, leur pas, pour ne pas blesser la discipline, troubler le silence, déranger l’étude. Quelle odeur de vieux !
Je ne me rappelle pas avoir vu une fleur à la maison. Maman dit que ça gêne et qu’au bout de deux jours ça sent mauvais. Je m’étais piqué à une rose l’autre jour, elle m’a crié : « ça t’apprendra ! »