Citations sur Arctique solaire (11)
Peindre du blanc qui ne soit pas l'absence, peindre une lumière qui ne soit pas matière.
Peindre.
En rentrant vers Fyrö, je me suis rendu compte que je m’étais refroidie à rester immobile. Pour me distraire de cette sensation, je me suis alors récité la liste de toutes les choses qui donnent de la chaleur. Une tasse de thé aux mûres arctiques, un rayon de soleil à travers la vitre givrée, le creux d’un coussin tout juste laissé par un chat au sortir de sa sieste, un châle qu’on vous dépose par derrière sur les épaules, ton regard sur moi quand tu me photographies.
La nuit approchant, l’anse montagneuse sévère, imposante du Fløyfjellet prend des teintes froides et sombres, du bleu au violet. De la rive qui lui est opposée, je vois les lanternes des dizaines de bateaux de pêche au repos s’allumer une à une. Alors que la clarté du jour recule rapidement, elles forment une guirlande blanche, jaune, orangée, ourlant les pieds du colosse. Se reflétant dans les eaux sombres, bleutées du fjord, elles coupent le paysage de leur bande lumineuse.
Il paraît que les passagers du Transsibérien, franchissant un fuseau horaire par jour, vivent des journées de vingt-cinq heures lorsqu'ils reviennent de Vladivostok. Une heure quotidienne offerte par le mouvement, un cadeau de temps pur.
Je pense aux illustrations de l’ami Carl Larsson. Aux peintures de Vilhelm Hammershøi. Tant de femmes y regardent par la fenêtre, pâles visages dans la lumière crue du dehors. Semblant surtout regarder en elles-mêmes. Beau sujet. J’en connais la face cachée. Du moins celle des tableaux de Larsson. Sa femme Karin lui a tout donné, jusqu’à ce travail décoratif qu’elle façonnait pour en faire le décor de ses tableaux. Contrairement à moi, Karin avait bénéficié d’un enseignement artistique. Elle était douée, libre. Et puis elle a rencontré Carl. Sont venus un, puis deux, puis huit enfants. Elle a, alors, abandonné sa création.
J’ai souvent pensé que nous avions eu un destin inversé, elle et moi, alors même qu’on nous a beaucoup comparées, pour notre rôle actif auprès de nos maris créateurs. Découvrir les Lofoten et, il faut que je l’admette, ne pas avoir d’enfant m’ont permis de m’engager dans une création personnelle.
Une fois la porte refermée, nous vécûmes ce sentiment intense de la prise de possession d’un foyer. Celui-ci n’a jamais failli à l’atmosphère de douce et tranquille félicité qui s’en dégagea ce premier soir. Des bûches crépitant dans la cheminée, doublée d’un poêle rougeoyant, une lampe à pétrole et des assiettes de poissons fumés accompagnées d’un grand bol de crème formaient l’image idéale de ce premier franchissement de l’an à Fyrö. À minuit, les cris de joie de quelques lointains voisins nous amenèrent à sortir, mesurant, sous de timides aurores boréales, l’immensité de laquelle nous étions désormais protégés.
Or c'est dans cette résistance même que s'accomplit mon travail de création, toujours en recherche, toujours incertain
Enfin ! Ce matin, c’est le silence et une clarté formidable qui m’ont éveillée. J’ai dormi d’un sommeil profond, ourlé de la douce, sourde, légère pluie de neige. Une nuit ouatée. Près d’un mètre est tombé. Et la lumière timide, par-dessus, est apparue, créant une atmosphère de légère opacité, mais d’une réelle clarté. Quand je pense qu’à la même latitude, en Laponie, il doit faire moins vingt degrés, ici, le thermomètre reste proche de zéro. Lumière blanche, douceur du temps, conditions idéales pour peindre.
Il me tarde que la neige tombe véritablement en abondance. Les paysages sont indécis, entre traces des dernières chutes et persistance de la terre nue. Une forme de redoux me donne l’impression d’être arrivée un peu trop tôt, ou que l’automne s’étire de manière inhabituelle.
Pour alimenter mon désir, immense, de créer, j'ai besoin d'être à moi même