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Citations sur Morteparole (8)

Il a dû sentir mon regard, ma colère : il tourne un peu la tête de mon côté, sourit gêné, gauche comme souvent, il écarte légèrement les bras, me montre ses paumes bizarrement ouvertes, souffle un mot que je n'entends pas, que j'essaie de lire sur ses lèvres, le répète, et soudain j'ai compris, il a repris deux syllabes de notre enfance, deux éclairs, coups de tonnerre qui ouvraient les pus sérieux de nos rituels, il a dit un mot simplet, presque nu, il a murmuré : "les clous", et je l'ai revu percé par le mot, la chose, dans l'ombre de la cour d'école ou de notre cabane, et hurlant une histoire qui guiderait nos jeux.
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Une beauté, on trouve, mademoiselle B., les cheveux et les yeux pailletés d'or, les mains blanches aux doigts fins, délicats. Des lèvres rieuses, surtout,
et des phrases qui bondissent, légères, cascadent jusqu'à nos tables, éblouissent nos cahiers.

Elle dessine les mots. Un don qu'elle a, qu'on n'a jamais connu chez d'autres.
(...) C'est à ce moment qu'on les voit dessinés : dans l'air par-dessus nos têtes, au ciel qui luit à la fenêtre.

Toutes sortes de mots, des très simples, des plus rares.
"Des dorures", on se murmure en grand secret, certains, depuis que la maîtresse nous a montré une photo couleur de la galerie des Glaces, que tout ce qui est beau a l'éclat solaire de Versailles.
A commencer par ses yeux irisés, illuminés quand elle déclame, module ses phrases.

Souvent, elle respire encore plus bruyant, rythmé, et voilà qu'elle fait même apparaître les choses dont elle cause ! Dans la classe, pile sous notre nez !
Un arbre, la première fois, je me rappelle.
Paul, qui les aime tant, en était transi d'émotion
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Si son père était ouvrier, comme le mien - notre honneur, notre fierté aujourd'hui -, sa mère faisait l'institutrice et, à ce titre, pouvait, malgré le métier de son homme, loger dans un appartement juste au-dessus de ses classes - des CM1 ou CM2, des "primaires" en tout cas ("Des primates !", dira Paul un peu plus tard pour rire, échapper à tout ça).

Si bien que, le soir après six heures, l'enfant ne quittait pas l'école,
le logement lambrissé de boiseries à mi-hauteur, les mêmes que dans la salle des cours moyens en dessous.
"Moyen, mi, demi : les mots qui ont raboté mon enfance", ironisera Paul.

Moi, je trouvais qu'il n'y avait rien de médiocre, de "moyen" dans ces bâtiments vides d'élèves, ces couloirs déserts, soudain corridors de châteaux, de palais, ces salles livrées à l'ombre et à nos cavalcades ...
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Mais là-dedans ont vibré des sons désagréables, des nasales brèves, leur battement métallique. Une formule sèche, j’ai pensé, une phrase d’annonce très courte, trop courte pour une telle assistance, des professeurs, tout de même, des gens lettrés, les semblables de Paul. Car j’imagine qu’on ne vas pas l’honorer – un des objets de la cérémonie d’après lui – devant un public ilote, qui ne serait pas du métier. Moi qui redoute les maîtres, les reconnais partout, dans le train, le métro, la rue, repère au premier coup d’œil, ce que la parole professorale défait dans un visage, les cicatrices, les blessures qu’elle y creuse, j’ai su d’emblée qu’ici tous étaient de la partie : ils méritaient mieux que ces trois nasales, leur pincement bref.

Surtout que l’homme se tait toujours, une poignée de secondes, sûrement, mais incongrues, insupportable, l’obligation pour nous de le regarder au visage, maintenant, de guetter inquiets sur ses lèvres les prémices de la parole. De drôles de lèvres, fines et courbées, un arc d’aigreur qui creuse très bas ses plis, à gauche et à droite de la bouche, va finir par faire sillon jusqu’au menton, une coupure profonde, on dirait, taillée par une parole acide, mauvaise. Sa manière à lui, je pense, de rappeler aux rangs serrés devant lui qu’il a été des leurs, qu’il porterait du métier au moins ce prétendu stigmate : le bec amer, les lèvres mangées, rabougries par leur claquement, par tous ces mots qui reprennent, corrigent, morigènent sans cesse. Une bouche qui des millions de fois à dit : "Non ! Faux ! Nul !", et joui de le répéter, le marteler. Une assurance, une morgue dans cette lippe qui me déconcertent : comme si cet homme était certain que tout professeur est d’abord un claque-bec, comme si Paul, par exemple, aimait rabrouer, lancer des reproches, des menaces à ses ouailles, lui qui rechigne à noter bas, près du zéro d’infamie, ou même en deçà du dix salvateur, qui craint alors d’humilier, de blesser.

Et plus morgueux encore, l’homme, vraiment insolent, de suggérer si fort qu’il a échappé à la condition modeste où végète son public… "Un contremaitre, ce gars, en somme !, je vois en un éclair. Ça y plairait guère, à cet évident prétentieux, mais il est de la même estrace que Testanière, contremaître aux Ateliers mécaniques des Bourbons, un zigue qui n’avait pas supporté de faire à vie ouvrier tourneur, de se colleter en solitaire la machine obtuse. Comme nous autres, d’ailleurs, tous des O.P.1 ou des O.S. Sauf qu’au lieu de se révolter, de gréver ou de glisser sous le tabouret de tôle un bouteillon de blanc bien vert, torche-tripes, il avait choisi de plaire à ses chefs, de faire son lèche-cul, son obséquieux jaunâtre, et de s’élever à la seule cime, la seule immense altitude qu’il pouvait concevoir : une place un cran au dessus de lui dans le métier, la "maîtrise", un ingrat travail de chefaillon, de contrôleur du pauvre monde, quarante bonhommes sous lui à faire baver, marner au moindre de ses ordres. Mais sa parole contre la tienne en toute circonstance, un type impossible à jamais critiquer, ni secouer, quoi qu’il fasse, même une grossière erreur… un intouchable."
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Il élève la voix, Paul.
Il crie.
Lui qui d'habitude parle voilé, assourdi, tellement bas qu'on doit toujours faire silence, tendre l'oreille pour saisir ce qu'il murmure.
Comme si c'était précieux, sacré. Comme s'il était prêtre, devin.
Il l'est un peu, bien sûr, puisqu'il écrit des poèmes, des vers rythmés.
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"C'est simple !, a-t-il martelé un jour de fureur. Il suffit de se rappeler la morsure, la violence de ton vent prétendument préféré, le mistral, et la traduction qu'en donnent les vrais Provençaux, pas les touristes de ton espèce qui ne font que traverser leur pays : le maître-vent ! C'est-à-dire le souffle qui renverse, qui soumet, qui élève !"
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"Tu es un forcené de l'enfance,
un esprit assez libre pour refuser de grandir", je lui avais lancé un jour,
mais il l'avait mal pris,
m'avait répondu offusqué, professeur hautain tançant le pouilleux ignorant.
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"Du chêne", il rétorque dans un souffle, comme s'il m'avait deviné.
"Le meilleur chêne de France !", il ajoute d'une voix éteinte, aussitôt dévorée par le brouhaha de syllabes lourdes, phrases clamées par le public, des gens bavards, verbe haut.
"De la forêt de Tronçais, celle qu'avait plantée Louis XIV pour la Royale !"
Un moment, Paul a retrouvé un semblant d'assurance, ce ton d'autorité qui était sa marque à l'adolescence et nous intimidait fort, mon frère et moi.
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